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Manifestation au Liban: tentative de confiscation et guerre hybride contre le Hizbollah

Par Général Amine Htaite: expert stratégique et professeur universitaire libanais

Chaque fois que nous abordons les manifestations populaires qui ont éclaté au Liban le 17 octobre, il est toujours nécessaire de souligner que ce mouvement résulte d’une injustice sociale et d’une corruption généralisée qui ont gangrené le pouvoir au Liban, ce pouvoir tellement funeste qu’il devient indescriptible. 

Mais il faut également insister sur le fait que cette explosion est le résultat inévitable d’une terrible situation installée depuis trois décennies avec l’accord du Taëf et le régime institué par la Deuxième République.
Toutefois, malgré la haute légitimité du mouvement et les exigences fondamentales qui y ont été formulées, les craintes qui l’ont accompagné ne sont ni passagères ni mineurs, surtout que certaines expériences dans la région suscitent l’inquiétude quant à son exploitation par les interventions étrangères malveillantes et par les forces internes de la corruption.
A la lumière de ce fait et de cette réalité, l’explosion populaire a éclaté et, à ses débuts, est apparue comme un mouvement de revendications sociales cherchant à abolir l’injustice sociale au Liban. Ce sentiment a fait que tout le peuple, sans exception, y compris les franges qui appuient les gouvernants, soutienne sans équivoque le mouvement.
Quant au leadership, les positions des uns et des autres variaient entre approbation déclarée et tacite, mais personne n’a osé rejeter le mouvement et plusieurs l’ont clairement supporté,  dont ceux qui, depuis trois décennies ininterrompues, sont une composante essentielle de la corruption de l’état.
Après les deux premiers jours, quelques dérivations ont commencé à atteindre les places que le mouvement occupait, exprimées par quelques clameurs et postures de ses éléments, et qui étaient éloignées des objectifs socio-économiques qui ont poussé les gens dans la rue.
Des objectifs politiques et des visées malveillantes ont alors émergé et des positions totalement étrangères aux nobles objectifs du mouvement ont été formulées. Les tentatives de provocation et d’incitation aux affrontements devenaient claires, à travers des déferlements d’insultes et d’injures, de barrages sur les routes et de violations des droits des citoyens et des passants sous prétexte de paralyser le pays et de fermer des établissements publics et privés.
Là, il devenait évident que la velléité réelle des interventionnistes étrangers, qui ont souvent agité la menace du chaos et œuvrent à l’installer afin d’atteindre des objectifs stratégiques majeurs, n’a rien à voir avec ce que les gens sont venus chercher par leur mouvement de protestation.
Plus précisément, il ressort clairement que le bailleur du mouvement veut recréer les circonstances de la période 2004-2006, qui a commencé par la résolution 1559 et s’est terminée par la guerre de 2006, en passant par l’assassinat de Rafic Hariri et la prise du pouvoir par le camp hostile à la résistance.
Pour les observateurs visionnaires et objectifs, le ciblage de la résistance et de son environnement à travers un chaos total l’embourbant à l’intérieur se confirme. C’est un plan dont nous avons longtemps parlé au cours des dix dernières années et nous avons souvent mentionné que, pour Israël, la condition pour mener la prochaine guerre contre la résistance est de créer un conflit intérieur pour y enliser la résistance et venir ensuite ramasser la mise. Ce fait, dont les ficelles ont commencé à être tirées par certains dans le mouvement, a réduit la masse des manifestants qui affirment être venus pour des revendications liés à leur niveau de vie et non pour trahir la résistance. L’écrasante majorité n’a pas accepté les tentatives de s’approcher d’Israël, ni les menaces de placer le Liban sous le chapitre VII, ni l’adoption d’une résolution plus perverse et plus dangereuse que la Résolution 1559.
Au cœur de ces constats et des faits prévisibles ou conclusifs, et au lieu de mettre en œuvre les dispositions de la feuille de route qui comporte des mesures positives sur le plan sécuritaire, financier et administratif pouvant avoir un impact positif, et malgré le soutien sans précédent apporté au Premier Ministre par le Président de la République avec son courant politique ainsi que celui du duo chiite, en plus de sa propre prépondérance politique au sein de sa communauté, et malgré sa mise en garde contre toute démarche incomplète, Hariri a remis sa démission, poussé par le commandement occulte du mouvement, avec, à l’esprit, un scénario simplifié fondé sur la conviction que le Président de la République s’empressera, dans les 24 heures, de mener des consultations parlementaires contraignantes pour ramener Hariri à la présidence d’un gouvernement qu’il formera selon ses conditions, dont celle des forces invisibles selon laquelle le Hezbollah et Gibran Basil seront exclus du gouvernement, afin de mener à bien la politique consistant à assiéger le parti et sanctionner Basil pour ses positions sur la Syrie et les réfugiés. En bref, mener un coup d’État contre la majorité parlementaire existante et faire que le représentant de la minorité contrôle la décision de la majorité.
C’est ce que Hariri et les forces occultes le manipulant envisageaient, sauf que le Président de la République a agi autrement. Il a temporisé pour mener les consultations officielles et les a préludées par des procédures préliminaires afin de faciliter la formation.
Le Président a bénéficié de l’absence dans la Constitution d’un délai contraignant pour commencer les consultations conduisant à la sélection de la personne chargée de la formation du gouvernement, à l’instar de l’absence d’un délai pour le Premier ministre chargé de parachever la formation de son gouvernement. Afin de garder l’initiative et avant toute désignation, le Président de la République a mené le processus des consultations préliminaires qui lui permet d’établir un accord avec les acteurs influents sur la forme du gouvernement, sa nature et ses membres, avant de nommer son président. Nous pensons que cela constituera un précédent constitutionnel de nature à compenser quelque peu les prérogatives de la présidence de la République perdues par l’accord du Taëf.
Face à ces tensions, Israël est entré en ligne en envoyant un drone de reconnaissance vers le sud en survolant un sit-in à Nabatiyeh. La résistance a riposté en utilisant son système de défense aérienne, pratiquement une première dans de telles circonstances et la vocation de son utilisation, ce qui a ajouté à la scène libanaise de nouvelles données importantes et a également permis de comprendre des éléments que certains ont presque surpassés et dissimulés.
Avec la démission du gouvernement et les positions et réactions ultérieures, le premier chapitre ou la première manche de l’affrontement complexe au Liban a pris fin, affrontement qui ne semble pas de courte durée circonstancielle. Le rideau est tombé sur une scène truffée d’éléments que certains considèrent comme une victoire sur laquelle ils échafaudent leur attaque et leur défense. Dans ce contexte, nous enregistrons ce qui suit comme résultantes :
La chute du gouvernement et l’entrée du pays dans la vacance du pouvoir exécutif, le gel des réformes édictées par la feuille de route et l’impossibilité d’accorder aux manifestants quelques concessions ou mêmes des miettes pour résorber leur révolte, ce qui rend les incitations à manifester et le recours à la rue comme moyens toujours en vigueur et efficaces et considérés par le mouvement comme une victoire populaire qui le pousse à plus de revendications.
Pour les forces occultes et la véritable direction du mouvement, elles voient dans la démission un obstacle franchi pour œuvrer à l’exclusion du Hezbollah et  de Gibran Bassil du gouvernement, en proposant un gouvernement de technocrates ou techno politiques qui n’inclut ni Bassil ni des représentants du Hezbollah.
Mais la conduite de la Présidence de la République et sa gestion du dossier de manière scientifique, intelligente et réfléchie, ont rendu cette présomption illusoire et ouvert la voie à la possibilité d’un retournement contre l’intérêt des instigateurs. Il n’est donc pas certain que Hariri réussisse à exclure Basil et le Hezbollah du gouvernement, mais le contraire pourrait être vrai.
La résistance contrôle sa rue et son environnement et échappe aux tentatives de son enlisement dans les affaires intérieures. La résistance a envoyé un message important par son timing à Israël et à ses comparses de l’intérieur et de l’extérieur stipulant que les contingences internes n’affectent en rien la résistance face à Israël. Israël et tous ses alliés ont été ulcérés par les propos de Sayed  Hassan Nasrallah décrivant les capacités de la résistance et la qualifiant de très puissante aujourd’hui, qu’elle est une entité autonome et dissociée de son entourage, qu’elle n’est pas affectée par les aléas locaux ou régionaux, et que son potentiel n’a pas été ébranlé par les événements internes. Ce qui dément les allégations sur une guerre civile embourbant la résistance et rendant Israël capable de la vaincre.
Le Courant Patriotique Libre a réussi à démontrer qu’il bénéficie d’un large et remarquable soutien partisan, et à assurer que les tentatives d’isoler le parti ou d’exclure son président sont des tentatives vouées à l’échec et qu’aucune chance de renverser les résultats des élections n’est tolérée.
De l’autre côté, le camp opposé, reformé et reconstitué, apparaît comme un gang composé de bandits calomnieux qui coupent les routes, violent les droits humains et bafouent la dignité des gens. A l’avenir, on tiendra beaucoup compte de cette considération.
En fin de compte, on peut dire que la résistance, ses alliés et son environnement ciblés par cette déferlante, ont pu contenir la première vague d’attaques sans dénier les revendications justifiées et légitimes des protestataires et des manifestants. La résistance doit toutefois affirmer sa présence de telle sorte qu’elle fasse un tri rigoureux entre un mouvement protestataire aux revendications socio-économiques légitimes et ne pas se contenter de le soutenir, mais  se doit de confronter la direction de ce mouvement à tous les niveaux, dans la rue, dans le pouvoir et dans le gouvernement. La résistance ne doit pas se soumettre au chantage ni céder la majorité qui est la sienne au Parlement et qui serait équivalente à la minorité pour quitter le pouvoir. La résistance et ses alliés doivent en effet mener la guerre contre la corruption et non soutenir ceux qui l’exigent uniquement.
Les tentatives hostiles et l’escalade de la guerre hybride contre la résistance se poursuivent. Et là, comme à son habitude, elle doit s’y opposer par tous les moyens et jusqu’au bout.
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