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L’opium-foot

Par: Bouhamidi Mohamed

Moins de dix minutes après la fin du match Algérie-Nigéria, la dame de l’immeuble à côté lançait sa voiture, toutes lumières, clignotants et vitres ouverts, drapeaux et écharpes à nos couleurs nationales déployés par des…filles, toutes ados. 
Dans d’autres voitures qui démarraient d’autres ados sortaient leurs bustes des portières, mais les jeunes occupants étaient garçons et filles.

 

Dehors des garçons encore jeunes mais d’âge à bénéficier de plus de liberté arboraient drapeaux, chapeaux, écharpes, mais aussi des feux d’artifices et des torches.
Les vuvuzelas donnaient de l’ambiance assourdissante de toutes parts, voitures ou groupes de jeunes passants.
A cent mètres en contrebas, d’autres voitures encombraient déjà la grande route.
Tout près une « herbil » joyeuse me dépassait. Sur sa benne, des jeunes, drapeaux et poitrines au vent mélangeaient slogans politiques et pour le foot, c’est le seul cas que j’ai croisé cette soirée de folie festive.
Sur les côtés de la route, au dessus des parapets, sur le rond central qui ralentissait les véhicules, Herbils, camions de tous tonnages, voitures de toutes marques et de tous prix, des pères de familles avaient ramené leurs tous petits voir la fête. Moment de bonheur aussi pour ces fillettes aux robes ordinaires et aux regards étonnés quand je les saluais.
Du bas quartier de masures écrasées entre les nouvelles cités.et le bord de mer, les jeunes adultes qui se débrouillaient à chercher le poisson dans leur barques, les jours sans vent si rares le long de l’année, tenaient à plusieurs mains calleuses, tailladées au filet, des drapeaux et regardaient aussi la liesse.
Hétéroclites composantes sociales qu’un drapeau, une joie, un signifiant réparateur et gratifiant d’une victoire de foot unissait dans une image de nous mêmes, réparée, restaurée, remise à neuf.
Nous ne sommes pas les seuls à avoir besoin de héros et de ces moments là. D’autres peuples, d’autres pays, qui dominent le monde se jettent dans cette euphorie générée par des champions.

Pourquoi la perception de cette fête du football serait chez nous un enivrement et chez eux une ivresse ?

Les jeunes restés à la fête du rond point, spectateurs des véhicules illuminés, des torses nus des jeunes qui vendront demain sur leurs « Herbils » les fruits ou légumes ramenés du marché de gros, ou de ces si beaux ados, garçon et filles, des grosses voitures dont un tee-shirt leur demanderait deux jours de travail au moins, rataient l’autre spectacle que j’allais découvrir.
En remontant vers des monstruosités placées en plein champs qui furent autrefois maraîchers, ces citées sans nom, des centaines de femmes foulards sur la tête avaient sortis leurs maris et leur enfants.
Là sans que je sache comment un groupe de jeunes avait installé une sono, une sorte de disk-jockey, comme on en trouve dans les salles de fête, les jours de mariage, ce mélange de musique, de chansons, de paroles inspirées, de rythmes de danses. Ils avaient mis le feu de joie et de toutes ces cités paisibles, presque muettes que leur si récentes origines entravaient encore leur naissance au statut de lieu reconnu que leur donneront leurs enfants devenus adultes au bout de quelques faits mémorables qui les uniront, bagarres ou mariages, peines et deuils, ou joies, ce qui fait qu’un lieu naisse de nouveau après avoir été arraché, ici, à ces ouvriers agricoles ou ces petits pêcheurs, timides, discrets aux codes faits de labeurs et de respect, jamais un gros mot et qui partageaient souvent avec moi le soleil de ce qui a rechapé de leurs jardins ou quelques poissons de leurs filets, les jours fastes.
Mettez la musique dans la rue et nous avons eu sous les yeux cette mixité de la fête du bonheur des enfants qui dansaient étonnés de cette irruption d’un lien social inconnu pour eux et d’une rue devenue un espace domestique.
Extraordinaire avant-garde que ce groupe de jeunes musiciens qui réinvente l’Algérie et la joie commune, ces filles et ces garçons encore enfants ou pré-ados qui s’inventent avec les musiciens qui mettent la musique dans la rue comme on y met l’émeute ou la révolution des rapports qui se libèrent des tabous du corps et du patriarcat.
Le foot ça a délié la communication dans la famille et quand le disk-jockey improvisé s’y met on a envie de danser.
Mohamed Bouhamidi

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