Qui interdit la critique des monarchies du sable au Liban?
Ziad Majed, le politologue franco-libanais, a été débouté en référé de son procès contre le journaliste René Naba en «incitation au meurtre sur internet et diffamation». L’ordonnance de la vice-présidente du Tribunal de Grande Instance de Paris, a été rendue le 12 avril 2019.
A PROPOS DE L’APPEL AU MEURTRE PAR INTERNET
Six semaines après la parution du papier concernant Ziad Majed sur madaniya et sept mois après sa parution en version arabe dans le journal libanais «Al Akhbar» (avril 2018), Ziad Majed a effectué un séjour d’une semaine à Beyrouth où il a participé à un débat public au Salon du Livre Francophone, accordant des interviews aux médias libanais. Il n’a pas été porté à la connaissance de René Naba la moindre information concernant une éventuelle tentative d’attentat ourdie contre M. Ziad Majed, ou la moindre menace proférée à son encontre.
En ce qui concerne l’expression «Remember Cain, Ziad», le juge des référés a estimé qu’elle ne saurait être interprétée comme une incitation au meurtre, en ce qu’elle fait référence à Ziad Majed et sa «trahison des idéaux de sa jeunesse», en ce que ce membre fondateur de la «Gauche Démocratique libanaise» a rallié Saad Hariri, premier ministre du Liban, allié de l’Arabie saoudite et des Etats Unis. Le texte mentionne Cain et non Abel. Cain, le meurtrier de son frère et qui sera poursuivi d’une malédiction éternelle… ainsi évoqué par Victor Hugo «l’oeil était dans la tombe et regardait Caïn». Il n’est pas interdit à un journaliste de recourir à une extension allégorique !
SUR LE FOND
L’article incriminé consiste en une reproduction d‘un article d’un grand journal libanais rendant compte d’un câble diplomatique de l’ambassade des Emirats Arabes Unis à son administration centrale d’Abou Dhabi suggérant de subventionner des personnalités libanaises de confession chi’ite afin de contrer l‘influence du Hezbollah libanais. Avec la plus grande prudence, René Naba a repris ce papier dans un premier paragraphe en citant sa source, au conditionnel rédigé ainsi: «la réputation de l’universitaire parisien Ziad Majed pourrait pâtir de la présence de son nom sur la liste d’émargement des intellectuels chiites libanais dressée par le gouvernement d’Abou Dhabi pour neutraliser le Hezbollah libanais, à en juger par les révélations contenues dans la correspondance diplomatique des Emirats Arabes Unis publiées en avril 2018 par le journal libanais «Al Akhbar» sous le dossier «Abou Dhabi Leaks ».
LE PRÉJUDICE
Si préjudice il y a, il est à rechercher : en direction de la responsabilité d’Abou Dhabi. En premier lieu du côté d’Abou Dhabi, qui a inscrit le nom de Ziad Majed dans la liste d’émargement de cet émirat pétrolier au titre de personnalité chiite, le réduisant à sa confession religieuse, et, circonstance aggravante, sans l’accord préalable de l’intéressé.
En deuxième lieu, du côté du chiffreur de l’ambassade d’Abou Dhabi à Beyrouth qui a rédigé le câble diplomatique mentionné en toutes lettres, et non en message codé et chiffré, donnant ainsi la possibilité d’un piratage informatique de sa correspondance. Une négligence coupable au regard de la confidentialité de sa démarche.
Le fait pour Abou Dhabi d’avoir inclus le nom de Ziad Majed sur la liste d’émargement des personnalités chi’ites, sans solliciter son accord préalable, en ce que cette présence est en soi préjudiciable pour l’universitaire et non la reproduction de l’article.
Sauf erreur ou omission, Il n’a pas été porté à la connaissance du défenseur la moindre démarche de protestation ou de plainte du plaignant vis-à-vis du gouvernement d’Abou Dhabi ou de son ambassade à Beyrouth.
LA RESPONSABILITE D’Al Akhbar
En deuxième lieu, la plainte aurait pu concernée le journal Al Akhbar, auteur de cette révélation. L’article du quotidien libanais est en effet paru en avril 2018 en arabe, la langue maternelle des Libanais et la langue officielle du Liban. La version condensée en langue française est parue sur www.madaniya.info en octobre 2018, soit près de cinq mois après sa parution en langue arabe. Ce délai est suffisamment long pour permettre aux innombrables lecteurs arabophones du Monde arabe d’en prendre connaissance dans sa version papier ou dans sa version électronique.
Sauf erreur ou omission, il n’a pas été porté à la connaissance du défenseur de la moindre démarche en ce sens auprès du quotidien libanais.
JUGEMENT D’UN UNIVERSITAIRE FRANÇAIS SUR ZIAD MAJED
L’article comprend 16 pages, le nom de Ziad Majed est cité directement une dizaine de fois pour expliquer la signification de sa présence et les risques que représente cette présence de son nom sur la liste d’émargement de l’ambassade émiratie, et que sa candidature soit parrainée par l’attaché militaire et non l’attaché culturel.
L’article en question rapporte également le jugement d’un universitaire reconnu spécialiste de la Syrie Francis Balanche à propos des analyses de Ziad Majed sur la Syrie: «Ziad Majed fait partie des chantres de l’opposition syrienne qui affirmaient que Bachar el Assad allait tomber en quelques semaines au début de la révolte syrienne. Il prétendait qu’il n’existait pas de problème communautaire en Syrie et que les djihadistes ne pourraient jamais s’affirmer en Syrie.
Lui et tous ceux qui comparent la situation en Syrie avec la guerre d’Espagne et les jihadistes aux brigades internationales sont assoiffés de notoriété facile. Ils bénéficient de l’engouement d’une partie des médias où l’émotion domine plus que la réflexion. Enfin, je dirais que leur émotion, à géométrie variable, sert aussi à masquer leurs piètres analyses sur le conflit syrien. Il serait temps qu’ils fassent leur mea culpa, car le désastre humanitaire en Syrie est aussi la conséquence de cette i-realpolitik ».
Émis dans un journal français, bénéficiant d’une notoriété certaine, «Le Figaro», repris par la revue mensuelle Afrique-Asie, ce jugement d’un spécialiste reconnu des affaires syriennes paraît accablant pour Ziad Majed en ce qu’il porte le risque d’obérer sa crédibilité… Sauf erreur ou omission, il n’a pas été porté à la connaissance du défenseur de la moindre démarche en ce sens auprès du quotidien.
L’article publie la liste d’une vingtaine de personnalités chiites qu’Abou Dhabi envisageait de solliciter. Pas un n’a porté plainte contre René Naba. Pas un, sauf Ziad Majed
Pour Ziad Majed, «la ligne directrice du site www.madaniya.info est la critique des pays du Golfe, des Etats Unis, d’Israël, au profit de l’éloge de la Syrie de Bachar A-Assad et de l’Iran de la révolution islamique». Contre argument de René Naba: «cette accusation infondée pourrait justifier une action en justice contre son auteur, mais que le défenseur s’abstient d’y recourir par principe en ce que la polémique constitue un des éléments du débat public si nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie».
La critique des pays du Golfe se justifie en ce que les pétromonarchies du Golfe sont critiquables. Il serait malsain de taire leurs agissement criminels au regard du droit: Capture du premier ministre libanais Saad Hariri, dépeçage du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, guerre du Yémen, financement du terrorisme islamique, raid du 11 septembre 2001 contre les symboles de l’hyper-puissance américaine.
Ziad Majed réclamait 7.000 euros de dommages intérêts, ainsi que 500 euros par jour de latence. Il a été condamné aux dépens !
Source: prochetmoyen-orient.ch