Le procès du tournant
Par Ouarda Abbas
Le tribunal militaire, chargé de juger la « bande au complot » n’a pas perdu de temps et le procès n’aura finalement duré que 2 longs jours au lieu de 3. Il faut dire que l’affaire ne concernait que la rencontre ou réunion, c’est selon, qui devait aboutir au limogeage du chef de l’état-major et à la mise en place d’une période de transition sans Gaïd Salah comme chef d’état-major et avec Liamine Zeroual comme président par intérim.
Le pari était risqué de jouer encore avec le feu, et c’est la solution constitutionnelle qui a finalement pu s’imposer. 15 à 20 ans de prison : les conséquences sont lourdes pour les apprentis sorciers, qui ne s’attendaient pas à l’éveil d’un peuple dont on murmure pourtant le nationalisme ombrageux dans les couloirs de certaines chancelleries, et la force militaire dans certains gosiers émettant d’officines diverses.
Le puzzle authentique se mettait en place. Zeroual, l’homme qu’il ne fallait pas chercher une seconde fois, et qui a surement pris la mesure de l’ampleur de la contestation populaire, et de son caractère visiblement révolutionnaire, décida d’y mettre son grain de sable, en totale harmonie avec son peuple. Plus question de légèreté ou d’irresponsabilité lorsqu’il s’agit des affaires d’Etat, la nécessité dicte à présent sa loi.
Les évènements se précipitèrent dans une singulière ambiance, mélange d’une ferme détermination générale à préserver l’harmonie et celle de faire aller le mouvement dans le meilleur sens possible, en même temps qu’essayer de déjouer collectivement les pièges fomentés pour dévier la dynamique de son chemin naturel par ceux qui préparent, c’est d’une notoriété qui va au-delà du cybernétique, un plan de déstabilisation de l’Algérie, afin de perpétuer la corruption, l’exploitation, le pillage, la destruction et finir par faire disparaître l’Algérie.
Aujourd’hui, le terme complot est définitivement passé dans le langage politique technique algérien. Il est tacitement convenu que le terme tabou ailleurs, désigne les plans stratégiques et secrets inhérents à un monde de rapine et de guerre, et dans lequel nous sommes plus en proie aux convoitises de toutes sortes, qu’acteur d’attaques prédatrices.
Il n’en faut pour preuve qu’aujourd’hui tout le monde en parle, et pas seulement dans des conversations intempestives au coin d’un café. Le haut commandement de l’armée revendique cette thèse dans son interprétation des faits et sa réaction aux événements, les masses populaires sont loin de rechigner à y recourir dans un argumentaire et aujourd’hui réagissent avec cette donnée de façon mystérieusement synchronique, et enfin, l’ex général Mohamed Mediene en personne y a recours dans sa défense, si toute fois le texte lu par son avocat tard dans la nuit devant un parterre de journalistes n’est pas apocryphe. Sait-on jamais, la période est on ne peut plus trouble, mais le mobile absurde.
Le début du texte est curieux : « Le complot réel et véritable, qui me place devant vous en tant qu’accusé aujourd’hui, vient de mes tentatives de lutte contre la corruption. Il vient de loin.». Est-ce de loin depuis l’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika, depuis avant la guerre dite civile, depuis l’indépendance, ou même encore plus ancien ? Quoi qu’il en soit, le général déchu semble percevoir dans sa chute que ce qui se passe en Algérie est un ouragan maitrisé par une conscience collective qui n’a pas fini d’étonner les idéologues, et qui impacte déjà le monde et ses donnes géostratégiques, c’est le procès du système essoufflé qui commence. Le texte lu s’épanche longuement sur les tentacules enfantés par cette corruption, et désigne le coupable tout avéré qu’est l’oligarchie notamment compradore. Mais ce qui est tout aussi intéressant, c’est ce passage vers la fin ou il est dit : « La corruption allait donc faire disparaitre littéralement et physiquement notre jeune nation, ses territoires et ses richesses nationales, voir son peuple dépossédé de toute valeur de vie composée. »
Tout de suite l’écho d’une balkanisation, soudanisation, ou congolisation traverse l’atmosphère.
L’ex général ne croit pas si bien dire en affirmant que le complot dont il est question est bel et bien vrai, et qui vient de loin. Encore plus loin que les scandales de la Sonatrach ou autre autoroute Est-Ouest.
Dans son plaidoyer personnel, qu’il semble le seul à avoir eu la présence d’esprit de préparer, se profile le long exposé de l’ampleur du plan de dépeçage du pays, et de son bras structurel principal : l’oligarchie toxique. Il faut dire que le grand « nettoyage » était tellement nécessaire, que même les étrangers se plaignaient de l’anarchie qui régnait avant le 22 février ; il parait qu’il fallait même que des chinois viennent nous apprendre la bonne gouvernance, le comble du raffinement politique « bouteflikien ». Reste à décrypter l’abstention de la « grande militante » Louisa Hanoune, que l’on aurait pensée plus apte à se tailler un discours, pour clôturer son passage devant le juge, à faire pâlir de honte un Diogène.
L’étrange décalage entre un ex patron des renseignements très discret et silencieux, et une ex « patronne » de parti politique dit d’extrême gauche qui ne se fatiguait jamais de discourir.
Quant au refus du désormais ex général Tartag de sortir de sa cellule, et celui de Said Bouteflika de répondre aux questions avant de sortir de la salle, laissent perplexes. Est-ce un abandon ou bien les plans peuvent-ils encore être assez pervers pour échapper à la vigilance d’une nation en éveil prudent ? Le déroulement des événements semble tout de même surréaliste. Y’aura-t-il une mascarade qui ferait annuler les jugements au point que Tartag n’ait nul besoin d’aller en appel, ou bien cette étape est-elle définitivement franchie ?
C’est que les enjeux sont immenses, et ce séisme politique risque de bouleverser les grandes stratégies mises en place si l’Algérie parvient à des élections apaisées et légitimes, et que la machine enclenchée va jusqu’au bout.
Quoi qu’il en soit, les deux derniers discours du chef de l’Etat Major laissaient transparaitre un certain soulagement pour le premier. Malgré l’incendie, accidentel mais néanmoins criminel par sa négligence, s’il en est, dans une maternité à Oued Souf qui a tué 8 nourrissons ; les services de sécurité étaient sur le qui vive et craignaient qu’un ou plusieurs attentats grande ampleur ne viennent noyer le pays dans la terreur, ou des milices opérer un coup d’état ou qui sait quel néo-scénario concocté dans de sombres laboratoires. Le second discours quant à lui insiste sur les élections, leur importance et le fait que les divers dispositifs sont mis en place qui permettront aux Algériens d’exercer leur droit de vote en toute sécurité, régularité et transparence.
Une autre étape importante semble avoir été dépassée sans possibilité que les « grands comploteurs » n’y puissent rien. Tout le monde continue d’espérer que les possibilités logistiques et de recrutement restent obsolètes. Les prochains épisodes s’annoncent encore plus tendus. Les avocats des condamnés s’étant déclarés insatisfaits de l’issue de ces procès, et prêts à faire appel, lorsque c’est possible en vue de ce que prévoit la loi.
Quoi qu’il en soit, le prochain terrain de lutte se concentrera dans les tribunaux civils, où les affaires économiques et de corruption, tous niveaux confondus, débordent les salles d’audience depuis quelque temps déjà.
La bataille sera donc très sensible au fur et à mesure que les grandes affaires de corruption seront jugées sous les toits des tribunaux Algériens, et exposeront l’ampleur du pillage économique, qui s’est accompagné d’un effondrement des mécanismes de filtrage des compétences, et de signes très inquiétants d’une vassalisation des services de sécurité au profit de la grande mafia-politico financière mondiale. La machine infernale est en branle, et les noms de Sonatrach, Tiguentourine, BRC, l’autoroute est-ouest, les tournages de films déloyaux pour maquiller de vastes opérations logistiques plus que suspectes… cristalliseront le noyau du procès du capitalisme, qui espérons-le sera intègre, et permettra d’amorcer le début d’un développement autocentré véritable.