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L’Algérie à la croisée des chemins

Retour sur un début de semaine riche en événements mais édifiant quant aux défis, aux menaces et aux enjeux en cours

Par Ahmed KACI

La semaine a commencé par l’arrestation de Said Bouteflika, le frère du président démis et des généraux Tewfik Médiene et BachirTartag, tous les deux à la tête du renseignement algérien depuis au moins deux décennies. Ils sont accusés de complot contre l’autorité de l’Etat et l’autorité de l’Armée. Si la nouvelle n’est pas de celles qui pousseraient à faire la fine bouche et ne peut être qu’a accueillie comme un soulagement tant que les personnes mises en détention provisoire par le tribunal militaire de Blida sont considérées de celles qui faisaient le beau temps et la pluie sur la scène algérienne : nomination de responsables civiles et militaires, orientation et imposition de résultats électoraux, marchés économiques, mainmise sur les médias et même sur les clubs sportifs. Bref, ils incarnaient à un moment ou un autre le pouvoir réel ou le pouvoir profond selon nombre d’observateurs.

L’irruption du mouvement populaire a porté un coup fatal au pouvoir de ces hommes, celui de Said Bouteflika, président de fait depuis la maladie d’Abdelaziz Bouteflika. Le témoignage « tardif » de Nezar sur la volonté du conseiller présidentiel de passer outre la volonté populaire qui rejetait le cinquième mandat en espérant mettre tout le monde devant le fait accompli et décréter l’état d’urgence ou l’état de siège qui signifie tout simplement la voie de la répression et la mise en danger de l’institution militaire d’autant qu’il se dit qu’il avait l’intention de démettre l’actuel chef d’état-major de l’ANP Ahmed Gaid Salah. Les choses se seraient accélérées à partir de ce moment jusqu’à la journée de dimanche et son arrestation.

L’Armée et le dilemme institutionnel

Pour sa part Tewfik, le « « Rab Dzayer » comme on se plaît à le nommer avant sa disgrâce en 2O14 tenait sous sa coupe les différents centres du pouvoir algérien. Et cela n’est pas anodin ou juste une soif de pouvoir chez ce personnage très discret. C’est le résultat d’une crise politique et d’une crise d’Etat aussi grave et profonde que celle d’aujourd’hui. Celle de 1992 qui a vue l’ex-FIS s’acheminer vers la prise du pouvoir, à travers l’Assemblée nationale et réclamer une présidentielle anticipée. Les résultats du parti islamiste ne sont pas étrangers aux luttes aux sommets de l’Etat et l’impossibilité pour les différentes fractions du bloc au pouvoir d’arriver à un consensus pour faire face à la montée du FIS dissous et de s’entendre sur une représentation acceptable de tous, notamment au sein du FLN, le plus vieux parti du pays.

La question de la police politique

La Direction du renseignement et de la sécurité (DRS), a donc constitué une police politique au sens propre du terme. Contrairement à ce que l’on croit, ses méthodes de répression n’ont pas touché que l’opposition, mais aussi beaucoup de personnes au sein du bloc dirigeant. Et pour cause, le DRS était le vrai parti politique des classes dominantes jusqu’à l’arrivée de Bouteflika au pouvoir. Son rôle historique a été l’organisation de l’hégémonie au sein du bloc social au pouvoir et la ventilation du pouvoir parmi ces différentes fractions. D’où le dédoublement de tous les corps d’Etat, de l’administration, des services de sécurité, de l’Armée par le DRS, la mainmise sur le FLN, le RND et les organisations de masse devenues des courroies de transmission des grandes décisions de l’Etat.

La crise ouverte par le cinquième mandat et le la détermination du mouvement populaire a certainement été perçu par Tewfik et les forces qui gravitent autour de lui comme une occasion de rebondir en se replaçant au centre de la transition politique que devait diriger Liamine Zeroual. Mais cela a, semble-t-il, contrarié la feuille de route de l’état-major de l’ANP et des fractions qui travaillent depuis des années à une rupture avec les injonctions de l’ex-puissance coloniale et ses velléités de vassalisation de la décision nationale,  a précipité aussi bien la chute de Bouteflika que de son frère et surtout de l’ancien DRS rattaché désormais sous la tutelle de l’état-major. Ce qui ouvrirait certainement la voie à l’épuration des appareils de l’Etat des figures connues pour leur proximité avec la fraction du pouvoir incarnée par Tewfik, Tartag, Said Bouteflika à des degrés divers. Une épuration qui, osons espérer, ne devrait pas remettre en scelle une nouvelle police politique qu’imposerait l’approfondissement de la crise actuelle et un éventuel vide politique et institutionnel qu’il y’a lieu de craindre en l’absence d’une vision claire et acceptable pour tous.

Bensalah et l’illusion du 4 juillet
Bensalah et Bedoui ou l’impossible transition

Dans un discours adressé à la nation, le chef de l’Etat, M. Abdelkader Bensalah, a appelé dimanche à un dialogue « intelligent, constructif et de bonne foi » qui reste « l’unique moyen pour construire un consensus fécond, le plus large possible, de nature à permettre la réunion des conditions appropriées pour l’organisation, dans les délais convenus, de l’élection présidentielle ». Un message qui reprend des passages et l’esprit de celui de l’Armée la semaine dernière. Aux yeux de Bensalah, l’élection du 4 juillet rejetée par la rue et l’ensemble de la classe politique, et qui convainc de moins en moins la hiérarchie militaire qui l’a simplement évacuée de son dernier communiqué, est « seule à même de permettre au pays de sortir définitivement et durablement de l’instabilité politique et institutionnelle ». C’est dire, au-delà des lauriers tressés à l’adresse de l’Armée,le chef de l’Etat Abdelkader Bensalah et le gouvernement Bedoui sont sur la corde raide et il paraît de plus en plus difficile pour eux de convaincre de la faisabilité de leur feuille de route et ce pour diverses raisons dont l’absence de confiance auprès du peuple n’est pas des moindres.

Et pour cause, ces deux personnages représentent ce qu’il y’a de plus irréconciliable dans le régime de Bouteflika avec l’exigence formulé par le mouvement populaire d’un passage à une nouvelle façon de gérer le pays dans le cadre d’un Etat de droit, du respect  des libertés publiques, la fin des privilèges et la lutte résolue contre la corruption. La présence de personnages impliqués dans des faits de corruption et dans la fraude électorale n’est pas de nature à rassurer une opinion publique de plus en plus frileuse vis-à-vis de l’ancien personnel. A ce titre, faut-il souligner que même les partis de l’ex-alliance présidentielle ont boudé l’appel de Bensalah à des consultations pour préparer l’élection du 4 juillet prochain. C’est dire si l’attelage Bensalah-Bedoui est incapable et n’a aucune volonté politique de mettre fin à la compradorisation de l’Etat. D’où le dilemme qui se pose aujourd’hui à l’ensemble des acteurs sincères du comment concilier une sortie par le haut qui soit constitutionnelle et qui réponde aux revendications profondes de l’écrasante majorité du peuple qui ont l’avantage d’avoir des échos favorables au sein des forces armées elles-mêmes intéressées par le renforcement du front intérieur dans un environnement régional et international anxiogène et menaçant.

Mouloud Hamrouche et le compromis historique démocratique

Dans une contribution parue dans les quotidiens El Watan et El Khabar, sous le titre du « Régalien et du légitime”,  Mouloud Hamrouche a appelé à un compromis historique par la démocratie. Dans cette optique, « Le peuple et l’armée sont seuls. Il ne faut pas qu’ils se tournent le dos ni se trouvent face à face. L’armée ne peut aller contre les aspirations du peuple », a notamment déclaré l’ex-chef du gouvernement sous l’ère du défunt président Chadli Bendjedid.

L’ancien chef de gouvernement Mouloud Hamrouche

Revenant sur les raisons de l’émergence de ce mouvement de masse inédit dans l’histoire de l’Algérie Hamrouche explique que les Algériens  refusent de continuer à être gouvernés à travers des “façades «politiques» préfabriquées”, des “ façades investies de sans-scrupule, de sans-vergogne, de sans-responsabilité et de sans-éthique”. Cependant, ce changement, selon Mouloud Hamrouche, n’adviendra pas par le seul changement des hommes. « Mais ces exigences ne sont pas solubles dans un changement d’hommes qui ne “sera jamais déterminant” et qui ne sera “ jamais une garantie suffisante pour une bonne gouvernance et une bonne justice », avertit Hamrouche.

Pour ce dernier, une vraie élection ne dépend pas “d’un délai, ni d’une date”, elle n’est pas possible tant que “ la structure chargée de toutes les opérations de préparation, des inscriptions, d’établissement de listes électorales locales et nationales, des registres de circonscriptions, de centres et de bureaux de vote ne soient pas revus, corrigés et certifiés par des autorités indépendantes croisées.”  Dans le cas contraire, prévient Mouloud Hamrouche, “ toute élection sera une arme de déstabilisation massive à cause des confusions, des contestations ou de refus de reconnaissances de résultats.” La balle est dans le camp de l’armée, selon l’ex-réformateur, pour éviter au pays la menace du vide institutionnel et constitutionnel.

La classe politique et la période transitoire

Pour sa part, les partis politiques et les personnalités les plus actifs sur la scène appellent à une transition politique dirigée par des personnes reconnues pour leur probité morale. Des noms sont avancées ici et là. Zeroual, Taleb Ibrahimi du côté des courants crypto-islamistes, Hamrouche, maître Bouchachi, pour ne citer que ces derniers sont avancés pour mener la transition à bon port. Le parti Ahd 54  estime, que « la seule solution réside dans l’organisation, avant la fin de l’année en cours, d’une élection transparente et régulière ». Cependant, cette démarche nécessite de nouveaux mécanismes à même de conférer crédibilité et transparence à cette élection », a-t-il expliqué. Dans ce cadre, il y’a lieu de relever la position constante du général à la retraite et ex-candidat Ali Ghediri qui estime que l’élection présidentielle à la date arrêtée du 4 juillet est tenable pour peu que le gouvernement Bedoui démissionne et que soit mise une Commission indépendante de surveillance des élections. La vigilance de la population fera le reste pour rendre impossible toute envie de fraude.

L’ex-dirigeant du RCD veut intimer à l’Armée de renoncer à la politique

Le RCD, le FFS, le MSP, le FJD, à titre d’exemple,  sont eux pour une transition confiée à un collège présidentiel ou à une personnalité consensuelle. Ces partis doutent tout comme le parti des Travailleurs de Louisa Hanoune de la sincérité de la lutte contre la corruption et des objectifs des dernières arrestations qu’ils assimilent à des règlements de comptes « claniques ». Dans des adresses postées sur sa page Facebook, Said Sadi, très virulent à l’endroit de l’Armée, n’a eu de cesse d’exiger de cette dernière « rentrer dans les casernes ». Selon lui, ce à quoi nous assistons ressemblerait à un coup d’Etat clanique au profit du chef d’état-major. D’aucuns n’ont pas hésité à qualifier l’ex-président du RCD comme une caisse de résonnance des réseaux Tewfik, voire même de la France qui voit d’un mauvais œil le poids pris par Gaid Salah et le commandement militaire dans le déroulement des évènements en Algérie.

Quid du système dans cet agiotage politique

Enfin, une dernière frange sociale et politique incarnée notamment par la gauche dite radicale comme le parti des travailleurs, le parti socialiste des travailleurs (PST), le FFS et le MDS ainsi que des personnalités au sein du mouvement populaire militent pour la convocation d’une Assemblée constituante qui aura en charge de définir les contours du nouvel Etat, son contenu social et politique et un gouvernement de transition qui parachèvera tout le socle constitutionnel. Les défenseurs de cette voie évoquent surtout l’exemple tunisien et le principe fondamental de la souveraineté du peuple.

A noter que dans ce foisonnement de propositions et de contre-propositions domine surtout l’aspect procédural, formel et citoyenniste. Hormis quelques revendication venant des partis de  gauche, rares ceux qui se focalisent sur la nécessité de bouleversements au niveau de la structure économico-sociale. On aurait juré que les dispositifs libéraux imposés au pays par une insertion inégal dans la mondialisation néolibérale apparaissent aux uns et aux autres comme un horizon indépassable et, peut-être même, répondraient mieux à leur univers conceptuels et aux intérêts de classes qu’ils seraient censés représenter. Une démarche qui ne résume pas les aspirations des millions d’Algériens sortis dans la rue, poussés surtout par les conséquences des politiques  de plus en plus dures menées par les gouvernements successifs, en particulier celui d’Ahmed Ouyahia et qui sont toutes dévouées à la promotion des intérêts d’une caste d’affairistes véreux et liés aux intérêts de la finance internationale et des groupes transnationaux.

Quels sont les dessous de la création du Conseil de la Révolution Pacifique Algérienne

Or est-il envisageable de réduire deux mois de mobilisation sans précédent de millions d’Algériens au seul aspect de changement de personnel politique à la tête de l’Etat sans invoquer les véritables cause qui produisent les relations que l’on se plaît à dénoncer sans passer pour un agioteur de la politique ? Le mouvement populaire, et notamment les franges qui supportent le plus le coût des réformes libérales, s’ils peuvent être bernés un temps par des montages juridico-politiques, acceptera-il de renter dans les rangs sans demander son reste ? Et puis le pays qui a tant besoin de sortir de l’état de sous-développement auquel le destine les politiques économiques actuelles supportera-t-il longtemps la déprédation de ses ressources aussi bien humaines que matérielles ? Enfin, faire perdurer la crise ne serait-il pas le biais par lequel des ONG,  dont les desseins sont aux antipodes des aspirations des Algériens, cherchent à mettre la main sur le mouvement et empêcher une issue sans heurts?  La création d’un Conseil de la Révolution Pacifique Algérienne (CRPA), en Belgique, similaire à celui de la Syrie, n’est-il d’ailleurs pas un signe avant-coureur que les agendas extérieurs commencent à prendre forme aiguillonnés, on le dira jamais assez, par un dégagisme de bulldozer derrière le slogan du « yatnahaw ga3 »  (qu’ils s’en aillent tous) dont on se demande s’il est si spontané que cela? N’est-il pas curieux que cela coïncide avec les rapport de International Crisis Group (ICG), la sortie du Financial times, la campagne dans la presse hexagonal ciblant l’Armée, etc?

Arrivés à la croisée des chemins, ce sont autant de questions qu’il serait temps pour les acteurs intéressés à de véritables et profonds changements de prendre à bras le corps dés maintenant.

A.K

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