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La révolution en marche (Suite)

Par: MOHAMED ARROUDJ

Après trois vendredis de mobilisation massive, le pouvoir en place à Alger, n’a rien trouvé de mieux à proposer, si tant est qu’on ait eu besoin de ses propositions, qu’une entourloupe qui consistait à prolonger le 4ème mandat, tout en feignant de la présenter comme un renoncement qui apparaîtrait, ne serait- ce que pour une partie du mouvement, comme une victoire. Cette offre qui n’est, en fait, qu’une version édulcorée de la précédente. Rappelons que cette proposition consistait à permettre à Bouteflika de briguer un 5ème mandat qu’il abrégerait aussitôt élu. En vérité, ces deux propositions avaient comme objectif de désamorcer la crise, saper et affaiblir la mobilisation.

La réaction de la rue est cinglante. Des millions de personnes ont, encore une fois, battu le pavé dans les coins et recoins du pays, rejetant ainsi et de façon spectaculaire  l’offre du pouvoir. En effet, la mobilisation du 15 mars va rester sans doute dans les anales comme la plus massive de l’histoire. Des agences de presse étrangères l’ont évaluée à plus de 15 millions.

Jour après jour, la mobilisation se généralise. La grève qui a touché plusieurs secteurs dans le public comme dans le privé, a été une réussite et cela a peut être contraint le pouvoir à réagir dans la précipitation et proposer une sortie de crise qui est malheureusement à cent mille lieues des revendications des masses en lutte.

Cette nouvelle démonstration de force a refroidi les ardeurs des acteurs mis en scelle par le clan Bouteflika et a provoqué leur quasi paralysie. Des contacts entamés par Brahimi, l’homme censé diriger la transition et par Bedoui, sont dénoncés vivement aussitôt révélés.

Le système est pris à son propre jeu et la mobilisation massive et pacifique ne peut être ni réprimée, ni contenue, ni manipulé étant donné sa puissance, son unité et l’élan de sympathie qu’elle a suscité partout à travers le monde. D’où, d’ailleurs, un certain discours conciliant du Chef de l’État major de l’armée envers le mouvement.

Le pouvoir est dans l’impasse et le mouvement populaire doit non seulement, maintenir la pression et l’amplifier, mais éviter également toute velléité de manipulation ou de dénaturation de sa mobilisation.   Pour parer à toutes les éventualités, d’autant que certains individus tentent déjà dans les coulisses, par des gesticulations dignes du système en place, de chapeauter la protestation. C’est dans cette optique que le mouvement se doit de penser à des formes d’organisation. Des débats libres portant sur toutes les questions (période de transition, modalités d’élection d’une instance pour mener celle-ci, élection d’une assemblée constituante, mode de scrutin, la laïcité, etc.) doivent être ouverts partout où c’est possible et des structures unitaires et démocratiques doivent être élues. Cela contribuera à la politisation des citoyens et la préservation de l’unité du mouvement pour concrétiser sa revendication centrale  qui est la chute du système en place, mais d’ouvrir des perspectives nouvelles où les revendications des classes populaires et démunis seront prises en compte.

L’espoir est au sein du mouvement. C’est de ses entrailles qu’émergeront de forces politiques et sociales nouvelles. Les étudiants donnent déjà l’exemple en élisant des comités autonomes dans les universités.

Le mouvement des travailleurs qui aurait pu jouer un rôle central et même constituer une direction au mouvement pour porter le mener vers la victoire, se trouve malheureusement affaibli et ce pour plusieurs raisons. Celle qui nous vient de à prime abord à l’esprit est sans conteste la trahison de la direction de l’UGTA inféodée complètement au pouvoir de Bouteflika et qui cautionné toutes ses politiques antisociales et les contre réformes économiques pendant près de trois décennies. L’autre conséquence de ces orientations de la centrale syndicale historique consiste en l’émergence de forces syndicales autonomes.

La répression dont elles ont été longtemps victimes ainsi que leur marginalisation justifient leur faiblesse. En dépit de toutes ces entraves, elles n’ont jamais cessé de se battre et elles ont réussi à  gagner des batailles.   Le mouvement populaire a rapidement conduit à la montée de la remise en cause de la direction en place  et de ses choix politiques à l’intérieur même de l’organisation elle-même. En effet, depuis quelques jours,  nous assistons à des tentatives de réappropriation de la centrale syndicale par la base. Des appels pour un congrès extraordinaire de la centrale syndicale se multiplient.  Il faut aider à la concrétisation de cette revendication qui sera l’occasion d’écarter définitivement ceux qui ont conduit à ce désastre. Libre alors aux travailleurs de faire ce qu’ils souhaitent de cet appareil, le refonder sur de nouvelles bases pour constituer un nouveau syndicat indépendant et démocratique ou créer une nouvelle organisation avec les syndicats autonomes existants.

La mobilisation en cours, pourrait accélérer la cristallisation du combat des travailleurs.  Les partisans du combat pour la prise en charge des intérêts des classes populaires et des démunis doivent concentrer leurs efforts pour cet objectif  et multiplier les appels en direction de ces travailleurs pour aider à faire converger tous ces mouvements pour un renouveau syndical.

Un mouvement des travailleurs organisé et conscient de son rôle et de son poids sera notre unique rempart contre toutes les dérives auxquelles notre révolution pourrait être exposée dans un avenir proche et même lointain à savoir se contenter de changer la façade et de maintenir les orientations économiques qui nous ont conduits vers ce désastre.

Les forces démocratiques en place sont  laminées, non seulement par le système, mais surtout par les stratégies adoptées sous le long règne de Bouteflika. Prises de court, elle tentent de prendre le train en marche, mais elles sont chahutées par le mouvement. Tétanisées, elles ne présentent aucun plan de rupture crédible avec le système. Aucune proposition à la hauteur des ambitions de la mobilisation n’émane d’elle.  L’opposition traditionnelle constituée essentiellement de valets du régime n’est que l’ombre d’elle-même. Certains de ses leaders sont déjà dans les starting blocks et n’attendent qu’à être cooptés par le régime pour faire partie d’un éventuel gouvernement de transition, d’autres avec leur ego surdimensionné sont à l’affût de strapontins, prêts à sacrifier cette magnifique mobilisation pour des intérêts particuliers.

Venons à présent à cette question qui taraude  nombre d’entre-nous et qui concerne évidemment l’islamisme.

Discrets dans les manifestations, présents sur les réseaux sociaux, ils se considèrent comme une partie du mouvement. L’islamisme n’est évidemment pas un bloc uni. Il y a l’ex FIS qui n’est plus ce qu’il était durant les années 90. Certains médias comme EL Magharibia, tentent de le remettre en selle comme si de rien n’était. Ainsi, sa responsabilité dans la tragédie est minimisée pour ne pas dire niée. Dans les manifestations du vendredi, certains groupes  de jeunes ont tenté de scander les slogans traditionnels de l’ancien FIS, mais la foule ne leur a jamais prêté le flanc. Les gens ont encore en mémoire la terreur qu’ils ont semé des années durant.  Les Salafistes qui sont nombreux à s’investir dans le commerce informel, donc à profiter de la rente, n’ont jamais été critiques envers Bouteflika qui ne les a guère gêné lorsqu’ils faisaient la chasse aux couples et s’attaquaient aux libertés des citoyens. Une partie d’entre eux a affirmé que la rébellion contre les gouvernants n’était pas halal. Une autre est allée de ses élucubrations considérant qu’une bonne partie des manifestants étaient tout simplement des mécréants. En effet, ils voient d’un mauvais œil la présence massive des femmes dans les manifestations et le rôle qu’elles y jouent comme ils déplorent également la grande mixité qui caractérise le mouvement.  Malgré le recul, les islamistes gardent une certaine capacité de mobilisation. Rappelons-nous de la marche organisée par les  salafistes le 15 janvier 2015 pour dénoncer les caricatures publiées dans l’hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo. En effet, ils étaient des milliers à scander des slogans de l’ancien FIS et d’autres à la gloire des frères Kouachi. Mais le FIS n’est plus ce qu’il était et même si on tente ici ou là de dédouaner des crimes abjectes qu’il avait commis quand ses hordes de terroristes sévissaient dans les quartiers et les villages semant la terreur en massacrant sans distinction de manière la plus abjecte des milliers de citoyens.

Cela nous amène à dire que cette discrétion relève plutôt d’une stratégie. Une stratégie attentiste. Sachant qu’une présence marquée serait vécue comme une tentative de manipulation et risquait d’effaroucher une partie importante du mouvement, ils préfèrent une présence discrète. Sachant qu’ils ne peuvent ni chapeauter le mouvement, ni se mettre à la marge, ils temporisent. Ils espèrent profiter de leur poids relatif dans la société une fois que le mouvement de contestation aura mis hors d’état de nuire le système.  Les autres courants de l’islam politique à l’instar du HAMS de Makri qui a participé au pouvoir depuis le les années 90 et qui a cautionné lui aussi toutes les dérives de ce pouvoir mafieux, sont discrédités et ont été chahutés et chassés des manifestations. Leur présence dans les gouvernements successifs a profité à leurs partis, à leurs militants qui ont eu accès à des secteurs entiers de l’économie.

Les signes de religiosité observés dans la société ne supposent pas une hégémonie du courant islamiste.

L’islamisme est clairement en embuscade. C’est donc aux forces progressistes, celles qui considèrent que cette formidable mobilisation doit aboutir à un nouveau régime qui garantira l’amélioration des conditions de vie des classes populaires et agira pour l’instauration de véritables libertés  démocratiques (liberté de s’organiser sans aucune entrave, droit manifester, de se syndiquer, droit de conscience, droit des femmes, droit à un logement décent, à un travail et un salaire qui permettent de vivre dignement, droit de regards sur la gestion des ressources naturelles du pays…) de se mobiliser là où elles sont et de construire dans l’unité l’alternative à même d’éviter que les forces de l’argent chassées par la grande porte reviennent par la fenêtre. C’est à ce prix que le mouvement pourra éviter une dérive fasciste o`une évolution vers un système absolutiste comme c’est le cas en Égypte.

MOHAMED ARROUDJ

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