Une contribution de Mohamed ARROUDJ
Les semaines passent et la mobilisation populaire demeure toujours intacte. En effet, des millions de personnes sortent encore et toujours pour revendiquer la chute du système en place.
Malgré toutes les tentatives et autres diversions issues tout droit des officines du pouvoir en place afin de semer la confusion et tenter de porter un coup à cette ferveur populaire sans pareille dans l’histoire du pays, la détermination du mouvement en cours reste exceptionnelle. En parallèle à cette formidable mobilisation, nous assistons à une évolution qualitative de la dynamique populaire. En effet, on voit se multiplier des débats et discussions, un peu partout sur le territoire national et également au sein de la communauté algérienne à l’étranger. Ces initiatives traduisent la volonté du mouvement populaire de trouver les voies et moyens à même de sortir de ce face à face étrange entre un peuple majoritairement mobilisé et portant des revendications claires et un pouvoir personnifié par le chef de l’état major des armées qui tente de nous lire, avec plus ou moins de réussite, des discours truffés de non-dits, d’allusions, d’acteurs non identifiés et de dangers réels ou supposés qui guetteraient le pays.
Des discours populistes et creux pour gagner du temps
Si de nombreux aspects abordés sont marqués du sceau de l’opacité et demeurent inaccessibles au commun des mortels et dont la lecture demeure difficile, la ligne politique qui apparait en filigrane a, elle, le mérite d’être limpide. Gaid salah répète à qui veut bien l’entendre qu’il n’y a d’autre issue à la crise politique majeure que traverse le pays que celle qu’il propose et qu’il qualifie de constitutionnelle, l’élection présidentielle en l’occurrence. Peut-il continuer à ignorer, après dix semaines de mobilisation massive, la volonté du peuple? En effet, ce dernier rejette de la façon la plus claire et la plus énergique la transition du pouvoir, menée par les hommes du pouvoir, sous contrôle de l’administration installée par le pouvoir et soumise à son diktat. Il continue à se battre becs et ongles pour la chute du système et le départ de tous ses symboles. Les discours du général dans lesquels il ne cesse de galvauder à satiété son soutien au mouvement populaire prennent à la longue des allures de monologues destinés plutôt à des franges adverses du système qu’à la mobilisation populaire. D’ailleurs, toutes ces tergiversations récurrentes de Gaid ont fini par irriter le mouvement populaire. Les slogans qu’on pouvait lire sur les nombreuses pancartes ou scandés lors de la manifestation vendredi 26 avril se distinguaient par leur hostilité à l’égard du chef de l’état major des armées.
Si Gaïd Salah est réellement du coté du mouvement citoyen, comme il le prétend, il doit arrêter les menaces à peine voilées envers la population et les chantages à la sécurité et l’invention permanente de dangers imminents qui menaceraient le pays. Les «B» restants doivent partir. Cela constituera la première véritable initiative destinée à rassurer le mouvement. Celui-ci consacrera, alors, ses forces à son auto-organisation et sa structuration pour engager sa propre transition, loin des pressions du pouvoir et d’autres cercles occultes.
Gaïd doit savoir que le conflit réel ou supposé qui l’opposerait à l’ancien chef du DRS n’est pas notre première préoccupation. Même si le peuple aimerait être au fait du bien fondé et des teneurs des frictions entre ces clans. Par ailleurs, si ce dont il parle est vrai, pourquoi n’actionnerait-il pas la justice comme il l’a fait pour les affaires de corruption? Gaid Salah cherche une crédibilité, mais, lui qui a cautionné toutes les dérives de la Issaba (la bande) de Bouteflika ne peut devenir, par sa seule prétendue sympathie pour le mouvement, un protecteur du peuple ou son allié.
Sinon, comment traduire ses propos du 30 avril lorsqu’il déclare : «…cette crise dont nous n’avions guère besoin, a été inventée dans le but de semer les graines de la déstabilisation en Algérie, en créant un environnement propice au vide constitutionnel.» Il insinue que ce mouvement massif et profond au souffle long est l’œuvre de groupes occultes et il regrette les conséquences engendrées dont fait évidemment partie l’éviction de Bouteflika. Dans ce même discours, il réaffirme qu’aucune solution en dehors de celle de sa clique ne peut être envisagée et cela quelle que soient les conditions et les circonstances. Un discours quasi belliqueux face un peuple dont la patience est à saluer. De plus, et comme c’est le cas depuis de deux semaines, nous avons droit non plus à un discours hebdomadaire, mais à deux. Si dans celui du mardi le chef de l’état major des armées se montre offensif et menaçant, dans celui du mercredi, il adopte un ton plus apaisé et plutôt conciliant. L’unique but recherché est de semer la confusion. La solution n’est plus dans la tergiversation, ni dans les ruses qui ne dupent plus personne. Toute cette logorrhée n’a qu’un but : semer le doute, malmener par divers artifices la mobilisation et réduire son étendue. Pour éviter toutes les dérives, il faut répondre aux revendications mille fois répétées du peuple mobilisé.
Des mesures d’urgences doivent être prises
De plus, pour accorder un quelconque crédit aux tenants du pouvoir, des mesures urgentes et significatives doivent être prises. Il faut que cessent immédiatement toutes les mesures répressives qui visent des initiatives prises par les citoyens ainsi que les diverses tentatives d’intimidation et les menaces à l’encontre des acteurs du mouvement. Les médias publics doivent être ouverts à tous les courants politiques et les journalistes doivent pouvoir travailler sans pression, ni menaces. Il faut également procéder à la libération de tous les détenus d’opinion et engager la dissolution des partis politiques qui ont fait partie des différentes coalitions initiées par le pouvoir ainsi que les deux chambres du parlement.
Il est, en effet, inconcevable de penser une quelconque élection dans un contexte aussi fermé où les citoyens doivent se battre pour arracher le moindre espace de liberté.
Si le pouvoir continue à s’arc-bouter et à n’imaginer d’autres issues que dans le cadre du carcan constitutionnel, il confirmera les inquiétudes du peuple quant aux desseins et inavoués et douteux du pouvoir, notamment le risque d’une évolution vers un pouvoir autoritaire ou carrément vers une dérive à l’égyptienne.
Gaïd Salah n’est pas l’homme de la situation
Décidément, Gaïd Salah est loin d’être l’homme de la situation. D’abord parce qu’il a constitué la caution de l’armée durant les années où il a été au service de Bouteflika, et pendant toutes ces années, il n’a jamais levé le petit doigt pour dénoncer la dérive de ce système maffieux. Sa prétendue lutte contre la corruption, avec la mise en branle d’une justice aux ordres ne convainc personne; sa posture de protecteur du peuple non plus. Il est temps qu’émerge un interlocuteur crédible capable de répondre aux exigences du mouvement populaire. De son côté, le mouvement citoyen doit persévérer dans l’organisation et dans l’approfondissement du débat public avec les différents secteurs de la société. Il faut que les travailleurs continuent à se battre pour débarrasser l’UGTA de ses bureaucrates corrompus et devenir une force motrice du mouvement. C’est la seule garantie pour que les politiques futures répondent aux besoins des classes populaires. C’est avec ce type de démarches que s’estomperont les différentes tentatives de dévoyer le mouvement et c’est ainsi que l’on pourra barrer la route à toutes les velléités de mener cette vague porteuse d’espoirs profonds vers une voie de garage.
Mohamed ARROUDJ
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