Les milliardaires adorent l’art et même les Arabes parmi eux s’y sont mis, si l’on en juge par le rythme où se créent les galeries et les musées dans les pays du Golfe, qui n’y voient pas seulement une source d’enrichissement, de création de richesse, de postes de travail, de visibilité nationale et internationale mais aussi de Soft Power donné au pays.
Les Français aiment à citer Bernard Arnault qui s’est construit son musée, dans le bois de Boulogne, ainsi que François Pinault qui, en plus du palazzo Grazzi et de la Dogana qu’il possède à Venise, a déjà lui aussi son musée à Paris, dans l’ex-bourse du Commerce.
Le créateur des studios hollywoodiens Dreamworks, David Greffen, a investi le tiers de sa fortune, soit 2,3 milliards de dollars, dans des centaines d’œuvres d’artistes comme Jackson Pollock, de Kooning et Jasper Johns… Eli Broad, le fondateur du promoteur Kaufman & Broad s’est également fait construire un gigantesque musée à Los Angeles : The Broad, pour abriter les 2000 œuvres de sa collection ou plus. Depuis la nuit des temps, les riches aiment l’art, et les Médicis, ces mécènes italiens ont fait le bonheur des grands artistes de la Renaissance. Les noms de Michel-Ange, Fra Angelico, Raphaël, Botticelli, Cellini et Pontormo sont intimement liés à cette famille florentine de banquiers collectionneurs et protecteurs des arts qui va s’emparer progressivement du pouvoir à Florence au 15e siècle…
Le marché de l’art a des siècles d’existence, et remonte au moins à la Hollande du 16e siècle lorsque l’on commence à voir circuler des tableaux, de petites dimensions, destinés non pas uniquement aux princes et aux églises mais aux membres des nouvelles classes aisées qui se créent grâce au commerce et à la marine marchande. Aujourd’hui, le volume mondial des transactions connues est estimé à près de 51,3 milliards d’euros (chiffre de 2018). Les 14 000 salles des ventes recensées dans le monde réalisent un chiffre d’affaires de 28,5 milliards de dollars, dont cinq réalisent à elles-seules 50 % de ce chiffre, les deux premières maisons étant Sotheby’s et Christie’s. Le chiffre d’affaires des galeries et marchands d’art est estimé à 33,7 milliards, quant à lui. Le chiffre d’affaires mondial du marché de l’art a connu une croissance de 456 % en 20 ans. L’arrivée de la Chine dans le domaine a induit une très forte progression. Les Arabes ne sont pas en reste, même s’ils sont plus discrets, contrairement au prince Mohamed Ben Selmane qui a acquis « Salvator Mundi » peint par Léonard de Vinci, pour 450 millions de dollars en 2017.
Actuellement, soit depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, lorsque les États-Unis ont imposé leur modèle culturel au monde entier en même temps que leurs artistes, devenus les artistes les plus universels, le marché de l’art est largement dominé par l’expertise anglo-saxonne. Cependant, depuis les quatre dernières décennies, de nouveaux acteurs tels que les marchands chinois, indiens, moyen-orientaux et russes, les artistes les plus en vue restent américains tout en laissant un peu plus de place aux artistes issues des niches émergentes et ce, afin de satisfaire une demande de plus en plus internationale de collectionneurs qui ambitionnent de placer les créateurs de leurs contrées. L’Internet, avec ses milliers de sites et galeries online, a permis de diffuser de manière plus rapide et planétaire l’offre en matière d’art et d’œuvres d’arts, de faire savoir que les gains en bourse sont à peine de 7% par an lorsqu’il s’agit d’un bon placement mais que l’art rapporte 5 fois plus que les actions des meilleures entreprises. Sur le long terme, un Picasso, un Matisse ou n’importe quel peintre international ou national peut rapporter plus que ne rapporterait l’or ou un placement en bourse. En effet, entre 2000 et aujourd’hui, l’indice des grands artistes a progressé de 360% sur 18 ans, contre seulement 75% pour l’indice boursier de l’américain SP500 et une stagnation pour l’indice français CAC40.
La Bourse des meilleurs artistes et
la cote fragile du contemporain
Imitant le CAC 40 ou le Dow Jones, Artprice a créé un indice, l’Artprice100. Leader mondial de l’information sur le marché de l’art, Artprice.com couvre plus de 30 millions de cotes et d’indices pour 737000 artistes. L’Artprice100 reprend les 100 premières « capitalisations » de l’Art, c’est-à-dire les artistes qui sont les plus chers et les plus liquides sur les cinq années précédentes. Sa composition est donc évolutive, comme celle des indices, en fonction du poids des artistes dans les ventes. Cependant, ce sont de très grands artistes qui figurent dans cette cotation de l’Artprice100 : les œuvres de ces géants ne sont à la portée que des grands musées ou des multimillionnaires en dollars : Picasso, Rauschenberg, Tapies, Monet, Renoir…
L’art dit contemporain se vend bien aujourd’hui, porté par une bulle d’ignorance et la tentation de suivre la mode de ce qui se vend le plus dans les galeries les plus huppées de New York, Paris, Londres, Berlin… Or il y a trop de superflu dans l’art dit contemporain, contrairement à l’art classique figuratif ou abstrait où la qualité esthétique et technique d’une œuvre est évidente. Mais qu’en est-il en Algérie ?
L’ancien ministre de la culture, Mihoubi n’a fait que surfer (pour ne pas dire bluffer) sur le sujet en promettant de lancer le marché de l’art dans notre pays.
Or il existe un marché de l’art dans notre pays, à la dimension voulue par nos responsables culturels, qui restent dans les superficialités langagières et les conférences vides au lieu de faire, d’agir :
puisqu’il faut d’abord que nos musées achètent des œuvres aux artistes, ensuite que nos institutions achètent afin de constituer des collections dignes du pays. Ces acquisitions permettront d’encourager les entreprises et les riches à acheter, entrainant ainsi une dynamique où toutes les autres composantes du marché de l’art se mettraient à tourner et à fonctionner : galeries d’art, journaux, magazines, photographes, encadreurs, imprimeurs, vendeurs de matériels de beaux-arts, en amont et en aval des ateliers des artistes… Ces derniers auront alors des commandes, des contrats, des expositions, des articles et des documentaires, des foires et des festivals, des revues spécialisées, engendrant ainsi une dynamique vers les écoles primaires et les universités et même les agences de voyages ainsi que les usines à travers le lien des designers et des dessinateurs d’objets industriels. C’est ainsi que naîtra un véritable échange avec les autres domaines de la culture, de la production à la formation et la distribution, embrassant le pays tout entier dans une même dynamique de création et d’échange et le tissant en même temps au marché international de l’art.
Il existait une commission d’acquisition d’œuvres d’art au ministère de la culture, où figurait Issiakhem et Yellès, pour ne citer que ces deux grands artistes. Ils achetaient des œuvres d’artistes algériens pour les musées du pays.
Des sommes modiques mises à disposition du fonds permettait à cette commission d’acheter, bon an mal an, quatre ou cinq œuvres, à des prix quasi-dérisoires, puisque ni les Khadda ni les Issiakhem (Le Mur) n’ont coûté plus de 100 000 DA au début des années 1980. Cette commission n’existe plus.
En tout cas elle n’est plus composée d’artistes, et nos musées n’achètent plus d’œuvres d’art dans les galeries et les ateliers ; alors qu’à lui seul le Musée national des beaux-arts d’Alger a acquis plus de 8000 œuvres depuis sa création en 1930 à 1960, dont plus de 200 œuvres d’artistes algériens comme Mammeri, Hemche, Benaboura, Racim…
Cette cécité a fait que l’Algérie ait perdu un patrimoine incommensurable qui, au lieu d’aller dans ses musées, est allé dans des collections privées ou est resté chez les artistes, les handicapant sévèrement en ne leur donnant ni visibilité ni de quoi vivre. Quand un Etat – en premier lieu le Ministre de la culture et le ministère des finances – ne sait pas que l’art est un placement plus important que toute valeur boursière, aurifère ou que n’importe quels métaux, à quoi servent donc ses musées, pour ne pas dire à quoi servent toutes les institutions culturelles? On est à des années-lumière derrière le Maroc et la Tunisie, pour ne pas oser faire la comparaison avec les pays – qui ne savaient même pas ce qu’est une cuillère et une fourchette il y a à peine 40 ans de cela – dont les artistes débutants sont plus cotés, respectés, écoutés, diffusés que nos centaines d’immenses artistes.
A. E. T.