Les Algériens refusent le fait accompli
Les manifestations de ce 8ème vendredi depuis le 22 février est, selon tous les observateurs, la plus massive de toutes. On parle de 25 millions de marcheurs. Il n y’ a aucun décompte officiel, mais on s’accorde à affirmer que les manifestants ont été très nombreux en dépit des craintes suscitées par les réactions des forces de l’ordre durant la semaine qui n’a pas hésité à empêcher les marches des syndicalistes de l’UGTA et les étudiants en usant de moyens répressifs.
A Alger, dés la matinée, des milliers de manifestants occupaient déjà la place Maurice Audin et le parvis de la Grande Poste sous le regard vigilant des policiers. Munis comme d’habitude de drapeaux algériens, amazighs et même palestiniens, les manifestants entonnent les refrains habituels comme « yetnahaw gaa » (partez tous !), « ni Bensalah, ni Belaiz ni Bedoui », « le peuple s’engage, pouvoir dégage !».
Les Algériens en investissant une fois de plus la rue, ils expriment sans détour leur rejet d’une transition organisée par les figures du régime de Bouteflika comme le premier ministre Bedoui et ex-ministre de l’Intérieur connu pour ses méthodes répressives, sans parler du chef de l’Etat intérimaire Abdelkader Bensalah qui a été de tous les régimes des trois dernières décennies. La sortie de crise insufflée par l’armée semble manquer de réalisme et est suspectée de chercher à préserver l’essentiel du système moyennant la mise à l’écart de quelques noms pour faire bon figure. En somme un changement de pure forme.
Venus de tout le pays, notamment des villes limitrophes de la capitale comme Tizi-Ouzou, Bouira, Tipaza, Sétif, Bordj, Boufarik, etc, les marcheurs font preuve de calme, de sérénité, de fraternité et de détermination quant à l’aboutissement de leur combat. Pour la majorité, la présidentielle projetée dans trois mois ne peut être libre et équitable parce qu’elle sera organisée dans le cadre des institutions et des personnalités du régime bouteflikien qui préside aux destinées de l’Algérie depuis vingt ans.
« On veut un changement radical ! », voilà le slogan qui revient comme un leitmotiv depuis plusieurs semaines et avec plus de force en ce huitième vendredi. Malgré la présence policière renforcée, quelques tirs de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc, les manifestants ne reculent pas et ont forcé les lignes de CRS. « Le pays, c’est le nôtre, on fait ce qu’on veut. » Voilà qui a le mérite d’être clair. « Nous avons repris le droit à l’expression, ce n’est pas demain qu’on se laissera déposséder », dira un manifestant. « Vous avez mangé le pays, voleurs ! », réitèrent à l’unisson des milliers de gorges qui exigent des comptes à ceux qui ont dépecé le pays comme les Tahkout, Benhamadi, Rebrab, Kouninef, Ali Hadad, le seul pour l’instant à se voir arrêté alors qu’il s’apprêtait à fuir par les frontières avec la Tunisie.
Pour la première fois aussi, le chef d’état-major, Gaid Salah est sur la sellette et subit les retombées du dégagisme implacable des masses révoltées. Il lui est reproché sont attitude par trop procédurière en s’arcboutant à une solution constitutionnelle qui ne signifie rien d’autre que la reproduction du système en place. Malgré ses promesses réitérées à chacune de ses sorties de se positionner dans les rangs du peuple, la reconduction des hommes de Bouteflika a eu l’effet d’une douche écossaise sur l’opinion.
Après la démonstration inédite de ce vendredi, il paraît difficile d’imaginer que l’Armée, seule institution à bénéficier encore de la confiance du peuple, fasse la sourde oreille et ne pas explorer d’autres voies pour mettre fin à la crise.
Mourad Bentahar