Un deuxième coup de poignard dans le dos de Kaeïss Saed, le président tunisien. Son premier Ministre Hicham Mechichi, encouragé par ses nouveaux alliés du parti islamiste Ennahda, mène obstinément sa stratégie d’épuration du gouvernement, de tous les ministres proches du chef de l’État.
Le limogeage des cinq derniers ministres intervient dans l’attente de «la finalisation des procédures du remaniement ministériel approuvé le 26 janvier 2021, selon lesquelles les nouveaux ministres ont obtenu la confiance du Parlement», précise un communiqué du gouvernement tunisien.
Sont concernés par ces limogeages le ministre de la Justice, Mohamed Boussetta, la ministre de l’Industrie, Salwa Sghaier, le ministre de la Jeunesse, des Sports et de l’Intégration professionnelle, Kamel Deguiche, la ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, Leila Jaffel, et la ministre de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche Akissa Bahri. Tous connus pour être proche du président Kaeïss Saed. L’intérim de ces ministères a été confié à d’autres membres du gouvernement.
En limogeant les cinq derniers ministres proches de ce dernier, Mechichi affirme sa volonté de donner l’avantage à ses nouveaux alliés du parti Ennahda de Ghanouchi, qui face à la grogne sociale contre ses cadres tente le tout pour le tout, en allant tout droit vers un putsch parlementaire à la brésilienne.
De son côté, le président de la République compte bien ne pas se laisser faire. Il s’est réuni hier, avec des députés indépendants de différents courants afin «de trouver une issue constitutionnelle» à la crise politique qui paralyse le pays déjà à bout de souffle à cause de l’instabilité des gouvernements successifs, depuis la Troïka. Il faut rappeler que la Tunisie a connu 12 gouvernements, en moins de 10 ans.
Lors de la première tentative de remaniement du 26 janvier, le président de la République, Kaïs Saïed, a refusé de recevoir le serment constitutionnel des nouveaux ministres, évoquant des vices de procédure et des soupçons de corruption associés à certains noms.
« Le peuple est devant et la constitution derrière vous, vous n’avez nulle part où aller »
Ce passage en force de Mechichi, poussé par Al Ghanouchi président du parlement et chef de la filiale tunisienne de l’Organisation Mondiale des Frères Musulmans, intervient dans un contexte marqué par une défiance inédite des tunisiens à l’égard des manœuvres d’Ennahda.
Le 6 février, troisième samedi de mobilisation contre le gouvernement, des milliers de manifestants ont protesté à Tunis. Cette journée de mobilisation coïncidait avec le 8e anniversaire de l’assassinat de Chokri Belaïd, farouche opposant aux islamistes. Elle fait suite à plusieurs semaines d’émeutes dans différents coins du pays. D’ailleurs, la multiplication des émeutes marqué par les heurts, ont crée la panique dans les rangs du parti de la majorité jusqu’à pousser Ganouchi à faire appel à ses militants pour « descendre dans la rue aider les forces de l’ordre pour défendre la démocratie » disait-t-il.
La très emblématique avenue Habib Bourguiba était investie par des dizaines de milliers de tunisiennes et de tunisiens de toutes les couches sociales, malgré l’impressionnant dispositif préparé 72 heures auparavant. Descendus réclamer une vie décente, les revendications ont vite renoué avec les slogans de la révolution en 2011. « Le peuple veut la fin du régime », tout en réclamant la vérité sur le dossier des assassinats politiques perpétrés sous le règne de la troïka post-Benali et les dessous des réseaux de recrutement des djihadistes à destination de la Libye et de la Syrie, notamment.
Ces dossiers qui pèsent lourdement sur le ministère de l’intérieur noyauté par l’appareil sécuritaire parallèle des frères musulmans, reviennent sur la scène à chaque-fois que le pays est au bord de l’éclatement.
La guerre entre les trois présidences a mis l’État à bout de souffle.
Ces déclarations ont d’ailleurs été anticipées par des actes. La classe politique retient encore sa visite officielle à Ankara, sans éclairer le président du contenu des discussions avec Erdoghan. Ou encore, les prises de positions relatives aux dossiers brûlants dans la région, notamment relatives aux conflits en Syrie et en Libye. Des positions qui contrebalancent celles de la présidence de la République et profitent clairement aux agendas de l’Organisation Mondiale des Frères Musulmans.
En contournant les us constitutionnels, les détracteurs du président veulent, coûte que coûte, imposer un remaniement ministériel qui ébranlera définitivement l’image de la présidence de la République en tant qu’institution garante de la Constitution. D’où la résistance de Kaeïss Saed, qui n’hésite pas à descendre dans la rue pour exhiber sa légitimité populaire.
La constitution et les bastions institutionnels de la contre-révolution.
Les velléités de basculement vers un régime parlementaire qui lui permet de prendre possession du pouvoir, ont été précédées par des actes révélateurs. A peine s’est-il placé à la tête du parlement, que Ghanouchi s’est pressé d’effectuer une visite « officielle » à Ankara sans en avoir avisé le président. Viennent s’ajouter à cela ses positions sur les dossiers brûlants dans la région, notamment le bourbier libyen, franchement en contre-sens des positions de la présidence. Rached El Ghanouchi s’était aligné en tant que chef du parlement aux agendas d’Erdoghan et de l’organisation mondiale des frères musulmans. Ces actes contraires aux dispositions de la Constitution confèrent l’exclusivité de la gestion de la politique étrangère du pays ainsi que la défense nationale, au chef de l’État.
Actuellement, le parti Ennahda est confronté à trois obstacles majeurs : la légitimité et la popularité du président de la République, l’institution de l’armée et la tout puissante organisation syndicale l’UGTT, pratiquement la première organisation étant à l’origine de la révolution. Cela explique les attaques « insolentes » contre Kaïss Saied sur les tribunes médiatiques et les réseaux sociaux. Les attaques prennent des ampleurs phénoménales, plus particulièrement à chaque opportunité d’une solution, à laquelle l’institution de l’armée et les principales composantes actives de la scène politique sont mises à contribution par le président.