Par : Ahmed Halfaoui
Il n’y a pas eu besoin d’attendre que les lampions de la fête s’éteignent, pour juger de quoi ladite «révolution du jasmin» a enfanté.
Pour être sérieux, loin du spectacle et sans se laisser assourdir par les cyniques applaudissements, qui trouvent une niaiserie politique disponible, il est désormais clairement établi que rien n’a changé et ne changera pour les insurgés de janvier 2011. Ceux de Gafsa, de Gabès ou de Kasserine et des exclus de la carte postale vendue par l’Occident.
Peut-être, seulement, que le système s’est doté de nouveaux atours, a adopté des méthodes moins brutales et a ravalé sa façade, pour arborer le look dit démocratique. Rappelons-nous. Ce n’est pas l’insurrection qui a pris le pouvoir le 14 janvier. Le pouvait-elle ? Non.
Ce sera l’Etat qui choisira, parmi ses cadres, qui va diriger la transition. Plus tard, à l’élection d’une assemblée constituante, ce ne sera pas, non plus, l’insurrection qui sera désignée par les urnes, mais les Frères musulmans, avec très peu de participation.
Ce fut la deuxième transition, qui aura son lot de morts parmi les réfractaires au système, jusqu’aux ultimes scrutins, qui sont caractérisés par le retour des caciques du régime déchu.
La boucle est bouclée, mis à part Zine El Abidine Ben Ali, la camarilla qui l’entourait revient par la grande porte, reprendre du service avec les honneurs. Ben Ali doit soit ricaner, soit broyer du noir d’avoir servi de fusible, tant il serait naturel qu’il en veuille à ses ex-obligés, qui lui mangeaient dans la main.
Peut-être se dit-il qu’il s’en tire à bon compte et qu’il n’aimerait pas se trouver à leur place, en guettant le moment où la rue s’embrasera de plus belle. Pour une révolution qui sera certainement moins naïve, que celle qui a servi à son limogeage par l’armée. Enfin, il doit apprécier, pour se consoler, que les Frères ne soient pas aux commandes pour le moment et que ce seront des visages familiers qui peupleront les JT sur la Tunisie.
La bourrasque des émeutes majeures étant passée, les nouveaux dirigeants, tous des ex de sa dictature ou d’anciens pairs, vont trôner.
A leur tête, Béji Caïd Essebsi, président de la république, plusieurs fois ministre sous Bourguiba, président de la Chambre des députés sous Ben Ali et Habib Essid, chef du gouvernement, ancien secrétaire d’Etat sous Ben Ali. Tous les deux ont pratiqué la répression policière et sont reconnus pour leur compétence en matière de sécurité.
Un signe ? La réponse sera connue quand les Tunisiens éprouveront les programmes économiques et financiers qui vont leurs être démocratiquement infligés,. Des programmes dont ils ne savent rien, les mêmes programmes qui ont été concoctés entre le FMI et Ben Ali, puis présentés par BCE au G8 de Deauville (26 au 27 mai 2011), qui les a applaudis, et qui attendaient d’être mis en œuvre. Des programmes « qui ne font pas peur à l’argent », selon la formule d’Essebssi.
Nous y sommes. Auront eu raison les quelques millions d’électeurs qui ne se sont pas inscrits sur les listes, ou qui se sont abstenus, qui ont dû comprendre très vite que la révolution n’en était pas une, que la démocratie était plutôt jouée d’avance, contre les sans-voix. En juillet 2018, le Centre d’Etudes et de Recherches Economiques et Sociales (CERES) a révélé que « la pauvreté a augmenté en Tunisie de 30% lors des quatre dernières années, suite à la disparition de la classe moyenne, à cause, notamment, de la hausse faramineuse du coût de la vie ».