Par Ahmed Halfaoui
Je me rappelle de cette année 2011, où la « démocratisation » soft ou grâce aux bons offices des troupes de l’OTAN, avait fait caracoler, en tête des possibles élus, les Frères.
Tous les gentils de la planète démocratique. De tous les débats, de toutes les analyses, de tous les discours des gens bien informés, une seule tendance dominait; celle qui voulait que s’instaure, en Tunisie, par exemple, un islam à la turque. Le seul problème c’est qu’il n’est pas dit comment l’instaurer. En Tunisie, il n’y a que des Tunisiens et s’il y a des Turcs il ne doit pas y en avoir des masses.
Du moins pas autant qu’il faut pour que leur islam balaie l’islam local. Ce n’est pas que de l’ironie. Parce qu’il n’y a pas d’autres solutions que celle-ci. Il n’y a que des Turcs qui peuvent être des Turcs.
Les Tunisiens, de même, ne peuvent être que Tunisiens et on voulait qu’ils soient des Turcs. Tant qu’à faire, le grand gagnant de l’affaire, qui revenait de loin et qui ne tenait pas à ce qu’on lui fasse un sort, qui voulait garder la part de pouvoir qu’il a gagnée et en prendre le plus possible, Rached Ghannouchi, acquiesçait sans acquiescer. Il ne disait pas non, sans dire oui. Car ce n’est pas lui qui a parlé de Turquie.
Lui, il est tunisien et n’en demandait pas plus. S’il ne disait pas non, c’était qu’il avait peur de dire oui. On le comprend, dans ce dernier cas, il fallait qu’il expliquât comment il va faire pour transformer les Tunisiens, lui-même et ses petits copains en Turcs.
Il se contentait donc de sourire, sans plus, et de dire que l’AKP et Erdogan c’est bien. De cette façon, il ne se mouillait pas, ni ne s’engageait en quoi que ce soit. Surfant sur la vague, d’autres islamistes tunisiens, qui sont modernistes comme ils le disent eux-mêmes, ont créé leur propre mouvement en se réclamant publiquement de l’exemple turc. Ils prennent quand même la précaution de préciser que «l’AKP est le résultat de la réalité turque» et que leur projet va plutôt coller à la «réalité tunisienne».
Tant pis pour la compréhension de la chose et jusqu’à présent personne de sérieux n’a cherché à résoudre l’équation. Ainsi, en dehors des férus de l’AKP, ce produit miracle dont seuls les Turcs sont capables de fournir la recette, mais chez eux, il n’y a donc pas grand monde en pays musulmans qui croit à cette histoire d’importation, de greffe ou de moulage qui marcherait.
Tout ça, alors que l’AKP n’y est pour rien et que les Turcs ont juste les rapports de force sociaux qu’il faut pour que chacun respecte celui qui n’est pas lui. Le Ghannouchi le sait bien et il souriait parce qu’il ne pouvait pas rire aux éclats devant la bêtise qui étalait sa science. Il ne riait pas par politesse et aussi par prudence en attendant de voir ce que lui réservait l’avenir.