« Dis-moi ce que les médias mettent en scène, je te dirai où travaille la contrerévolution.»
Par Ahmed KACI
Nul doute que nombre d’Algériens ont-t-il eu le loisir de suivre le traitement réservé par certains titres de la presse notamment en Algérie et en France à la crise politique en Algérie et le rôle de l’Armée depuis le 22 février avec l’irruption des masses sur la scène réclamant des changements profonds et le départ du système en place.
Si les premiers vendredis de la contestation, le ton était plutôt à la bienveillance sur l’appréciation de l’attitude de l’Armée, reflétant l’ambiance des rues du pays marquée par le slogan emblématique « Djeich-Chaab Khawa-khawa » qui imprégnait le déroulement pacifique des manifestations et leurs caractères fraternels, il en va autrement particulièrement après la démission-destitution de Bouteflika.
Ainsi le journal L’Humanité, dans son édition du 1 mars, 2019 titrait-il « L’ARMÉE ALGÉRIENNE, UNE INSTITUTION AU CŒUR DU POUVOIR ». L’auteur de l’article, qui fait la revue des reproches souvent faits à l’institution dont celui qui veut qu’ « aucun président n’a été élu sans l’aval des militaires», affirme toutefois que « l’armée reste paradoxalement, malgré des accusations récurrentes de corruption, la seule institution encore respectée en Algérie ». Et même de conclure que « l’armée, sollicitée par tous les acteurs politiques pour garantir une transition, reste une institution incontournable ».
France 24, pour sa part, le 11/03/2019 titrait : « L’armée, « colonne vertébrale de l’Algérie », dit partager les mêmes valeurs que le peuple.» Plus loin, le journaliste écrivait au dessous d’un surtitre fort éloquent « « Le peuple attend l’aide de l’armée » » : « Dans la rue, les liens étroits entre peuple et armée sont d’ailleurs visibles, souligne Meriem Amellal Lalmas, journaliste à France 24. « On a notamment entendu des slogans disant ‘le peuple et l’armée sont frères’, explique-t-elle. L’armée est respectée et le peuple attend qu’elle l’aide dans cette transition vers un nouveau système ».
Cependant l’attitude des médias ne tardera pas à évoluer peu à peu pratiquement d’une position de compréhension de la place de l’Armée dans le dispositif politique et institutionnel de l’Algérie à une offensive tous azimuts la mettant chaque jour au pilori.
La palme revient au quotidien El Watan. Il ne se passe un jour sans que le journal ne mette en épingle par des analyses, des reportages ou des interviews de personnalités politiques, le rôle anachronique du chef d’état-major Gaid Salah pour le mouvement populaire et les revendications démocratiques. « Le chef d’état-major de l’armée tient à appliquer sa feuille de route en dépit du refus affiché par de millions d’Algériens », affirme l’article intitulé « Gaïd Salah veut imposer l’élection présidentielle du 4 juillet ». Dans la même édition du 23 avril 2019, le journal met en évidence des propos prêtés à Karim Tabou, chef d’un parti, l’Union démocratique et sociale (UDS), non encore agrée, sous le titre : « Karim Tabbou à Gaïd Salah : « Vous n’avez pas le droit de faire de la politique depuis la caserne » ! Le conférencier a tiré à boulet rouge sur la France, les Emirats arabes-unis, accusés de soutenir « la mafia du Pouvoir algérien ». Plus loin le conférencier, qui a égratigné Gaïd Salah, le chef d’état-major, interroge ce dernier. « Où étiez-vous lorsque la Issaba (la bande) avait piétiné la Constitution ? Où étiez-vous lorsque des individus se sont emparés de l’Etat et en ont fait une propriété privée ? Où étiez-vous lorsque des entreprises publiques ont été bradées ? », tout en le mettant au défi « d’arrêter le général Toufik ».
Puis tour à tour, et dans la même veine, le quotidien fait écho aux analyses de l’ex-président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) Said Sadi, Arezki Aït Larbi, etc. Intervenant avec l’épisode de l’arrestation de l’homme d’affaire Issad Rebrab, dans le cadre d’enquêtes sur des faits de corruption, la synthèse de l’analyse de Sadi par le journaliste d’El Watan est sans détour. L’auteur de l’article quand il explicite la pensée de Said Sadi : « il met l’accès sur le divorce consommé, dès vendredi dernier, entre les Algériens et le premier militaire du pays, Ahmed Gaïd Salah. » Expéditif est l’extrait mis en évidence par le journaliste sur le discrédit de AGS qui « ira en s’aggravant si ses sorties médiatiques pendulaires se répétaient ». Dans sa livraison de la veille du 28 avril, EL Watan remet une couche dans son hostilité affichée à Gaid Salah. Dans son compte rendu de la marche du 27 avril, le correspondant du journal rapporte un fait assez loquace de la volonté de faire paraître le chef de l’Armée comme un homme indésirable : «…des citoyens ont procédé à un «référendum» populaire sur place. «Êtes-vous avec Gaïd Salah ?» demandait un manifestant avec un mégaphone. «Non !, non !», répondait la foule, avant qu’elle ne se mette à scander «Dégage !».
Plus virulent encore, le journal en ligne Tout sur l’Algérie (TSA) titre le 01 mai 2019 : « En s’abritant derrière la Constitution, Gaïd Salah engage l’Algérie dans une voie sans issue ». Dés l’entame de l’article sous une formule interrogative, le journaliste assimile l’attitude du chef d’état-major à de l’autisme et de l’entêtement. S’ensuit un commentaire où le procès d’intention est flagrant lorsqu’ il ajoute que « la lutte contre la corruption est le nouveau cheval de bataille de Gaïd Salah, avec lequel il espère calmer les Algériens, et sauver le système ». Depuis, les articles de TSA sur Gaid Salah ne dérogent pas à cet règle même si souvent le site électronique prend le soin de faire parler des acteurs politiques comme Tabou, Louisa Hanoune, la direction du FFS ou Louisette Ighilahriz et récemment Mohcine Belabbas, le président du RCD. Ce dernier intime l’ordre à Gaid Salah de partir sous le titre martial des plus agressifs : « Mohcine Belabbas à Gaïd Salah : « Déposez votre demande de retraite » » !
La presse française n’est pas en reste de ce qui s’apparente à une campagne qui vise non seulement le patron de l’Armée, mais l’institution dans son ensemble. Le premier mai, le quotidien gratuit 20 Minutes affirme que « le général Ahmed Gaïd Salah a opposé une fin de non-recevoir aux revendications des manifestants », sous le titre évocateur d’un conflit en gestation: « Algérie: Le bras de fer continue entre l’armée et les manifestants ».
Le Figaro dans un article daté du 10 mai dernier va plus loin. Dans une allure guerrière, il ne se gène pas à étiqueter son papier : « Algérie: la rue et l’armée à couteaux tirés ». France 24 en date du 22 mai 2019 est plus explicite : « En Algérie, étudiants et enseignants dans la rue contre « un État militaire » » ! Rien que ça ! Enfonçant le clou, l’auteur du réquisitoire contre le chef de l’état-major affirme sans sourciller : « La veille, il avait à nouveau opposé une fin de non-recevoir aux deux principales revendications du mouvement de contestation, en demandant la tenue de la présidentielle le 4 juillet pour élire un successeur à Abdelaziz Bouteflika et en estimant « irraisonnable » et « dangereux » la revendication d’un départ préalable des personnalités du « système » au pouvoir, dont il fait lui-même partie ». Boursorama et Le Monde vont dans le même sens en mettant en évidence par des titres tapageurs le refus de l’Armée de répondre aux appels de la rue : « En Algérie, l’armée dit « non » aux principales demandes de la contestation » ! Le Monde ajoute avec une arrière-pensée évidente : « Bien que légalement dénué de tout pouvoir décisionnaire, le général Ahmed Gaïd Salah est considéré par les observateurs comme celui qui donne le la depuis la démission le 2 avril du président Abdelaziz Bouteflika ».
Dans cette campagne de démonisation-désinformation, à l’endroit de l’ANP et de ses chefs, le bouquet revient à Al Magharibia Channel, appartenant à l’un des fils du dirigeant de l’ex-FIS feu Abbassi Madani, qui ne lésine pas sur les formules chocs comme : « Algérie: Gaid Salah défie le Peuple ! », « Algérie: Gaid Salah contre le Peuple ! ». L’un des invités, dans l’émission visible sur Youtube à la date du 21 mai 2019, va jusqu’à faire le parallèle, sur un ton hystérique, avec l’Etat et l’Armée coloniaux en parlant de « répression féroce, animale et guerrière ».
Il ne fait pas de doute que tout ce tapage médiatique ayant pour but la déstabilisation de l’ANP et son commandement est téléguidé par les énormes intérêts en jeu aux ramifications internes et externes, ainsi que les clientèles qui gravitaient autour du président déchu arrivées à la conclusion qu’ils ne peuvent garder le contrôle sur la période de transition sans la neutralisation de l’armée algérienne qui dés le début des protestations a montré, à différentes occasions, une réelle détermination à éradiquer la corruption.