Par | Ahmed Zakaria
Avant de rencontrer Xi Jinping, Lula était passé voir sa compagnonne de lutte et ancienne présidente de Brésil, Dilma Rousseff, fraîchement installée à la tête de la banque du Brics. Une visite hautement symbolique. Puis une fois à Beijing et à son 100e jour de son installation à la tête du Brésil, Lula s’est longuement étalé dans ses déclarations sur la dédollarisation et des échanges économiques et la fin de l’Hégémonie occidentale.
Tout indique que le principal enjeu de cette visite n’était pas l’Ukraine, mais la formation d’un nouveau centre de gravité dont les deux plus grandes économies de l’Amérique Latine et de l’Asie, et la Russie s’estiment capable de conduire, vient de franchir un pas de plus.
Notons que la visite de Lula en Chine intervient à la veille de la tournée de Sergueï Lavrov en Amérique Latine. Le chef de la diplomatie russe est arrivé au Venezuela, deuxième étape de sa tournée latino-américaine, qui comprend également le Nicaragua et Cuba. Moscou considère l’Amérique latine comme une région « amie », avec laquelle elle entend « développer une coopération constructive, non soumise à aucun diktat de l’extérieur ». Cela a déjà été confirmé par le séjour de Lavrov au Brésil, où il a déclaré que les approches des deux pays face aux événements qui se déroulent dans le monde sont conformes. A Washington, les maître de la Maison Blanche considéraient que le Brésil « ressassait » la propagande russe et chinoise sur l’Ukraine.
Finalement, La Chine est bien consciente que Moscou et Kiev adhèrent désormais au l’idée de donner une chance à la guerre, c’est-à-dire qu’elles s’attendent à atteindre leurs objectifs sur le champ de bataille. Les experts du parti communiste chinois, sont convaincus, même s’ils l’expriment à demi-mots, que la guerre aux portes de Moscou, n’est qu’un prélude d’une autre en au Pacifique ou en mer de Chine.
A l’instar de Macron et de von der Leyen, la visite de Lula da Silva n’a conduit à aucune percée en direction de l’Ukraine telle que souhaitaient les deux hôtes européens qui l’ont précédé à la table de Xi jinping. Pendant tout son séjours de 4 jours, le président Lula n’a d’ailleurs, évoqué le conflit en Ukraine qu’une seule fois, et seulement lorsqu’un journaliste l’avait interrogé sur la question. Ainsi était sa réponse : « Les États–Unis devraient cesser de soutenir la guerre et commencer à parler de paix. L’Union européenne devrait commencer à parler de paix ». a-t-il souligné
Il faut dire que les deux dirigeants chinois et brésilien et d’une manière presque théâtrale, n’ont pas été très insistants sur la question, à part des déclarations appelant la nécessité de négocier. Un appel que Moscou ne cessait de clamer, d’ailleurs. Côté chinois, la seule chose rapportée par la chaîne de télévision officielle CCTV, était un communiqué du ministère chinois des Affaires étrangères qui ne mentionne pas du tout l’Ukraine, mais parle plutôt de la « croissance phénoménale des relations bilatérales » entre les deux puissances, qui sont « les deux plus grands marchés émergents des hémisphères oriental et occidental ». Le Brésil et La Chine veulent coûte que coûte, démontrer qu’ils pouvaient résoudre leurs problèmes sans la participation de l’Europe et encore moins des États-Unis, a affirmé à ce propos le directeur du Centre Carnegie de Berlin pour les études russes et eurasiennes Alexander Gabuev
Dilma Rousseff, Dame de pique pour les instituions financières mondialistes
Dilma Rousseff
En 2000, elle est devenue l’un des principaux ministres du président Lula. Elle a ensuite été élue première femme présidente du Brésil et a remporté des réélections (2010 et 2014). Aujourd’hui, elle retourne à la politique pour diriger l’une des institutions les plus prometteuses du Sud : la BRICS New Development Bank (NDB) à Shanghai, en Chine.
Lula a déjà voyagé aux États-Unis et en Argentine où il a scellé l’accord pour un nouveau model d’intégration économique visant à renforcer la souveraineté énergétique et économique dans le cadre de Union des Nations Sud-Américaine (UNASUR).
L’enchaînement du périple du président brésilien après avoir rencontré la présidente de la Banque de Brics puis Xi Jinping, illustre franchement un défi du monde « non occidental » au « monde occidental ».
« Qui a décidé que le dollar devait être la monnaie mondiale ? Pourquoi une banque comme la banque BRICS ne peut-elle pas avoir sa propre monnaie pour les règlements entre le Brésil et la Chine, entre le Brésil et les autres pays BRICS (…) Maintenant, les pays sont obligés de courir après le dollar pour exporter quelque chose, même s’ils pourraient exporter dans leur propre monnaie… », a déclaré Lula à Shanghai, lors de la cérémonie d’investiture du président de la New Developpent Bank, contrôlée par les BRICS, composé du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud, et bientôt d’autre pays tels l’Arabie Saoudite, l’Algérie et l’Argentine.
Cette nouvel structure « inter-nationale », se positionne explicitement comme une alternative au Fonds monétaire international (FMI) et à la Banque « Mondiale », que Lula da Silva critique vivement.
Les pays membres sans compter les autres candidats au BRICS, représentent désormais 31,5 % du PIB mondial, et réuni plus de la moitié des habitants de la terre, tandis que la part du G7 est tombée à moins de 30 %. La Nouvelle Banque de Développement (NDB) vise à financer divers projets de développement et devient un contrepoids à la Banque mondiale. Les accords de défaire les échanges entre le Chine et le brésil, du joug du dollars, ne font que donner un souffle de plus à l’équilibre des pouvoirs sur la scène mondiale qui évolue déjà à un rythme inhabituel, depuis le début de la guerre en Ukraine.
Moscou a l’instar du Venezuela l’Iran, Cuba, la Malaisie, L’Inde et plus de 40 autres pays, soutiennent chacun sa manière et sa zone d’influence, l’idée d’abandonner, ou du moins, atténuer l’influence le dollar dans les règlements internationaux et surtout une monnaie d’ingérence punitive.
Tous ces pays ne veulent surtout pas s’inspirer de l’incompréhensible suivisme atonique européen qui enfonce les membres de l’Union, dans les crises sociales et économiques dont nul ne peut prévoir les suites.
Les Blocus dont le dollar en est le principal outil, ont avec la guerre en Ukraine, déréglé les marchés mondiaux et accéléré la propagation et la hausse de l’inflation partout dans le monde créant les conditions pour une crise systémique de la dette dans les marchés émergents et les économies en développement. Plus de 22 000 milliards de dollars de dettes publiques…rien qu’en 2022, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement CNUCED. Même aux Etats-Unis, la dette empoisonne l’économie.
Les Calculs de la CNUCED montrent que 81 pays en développement ont été contraints de puiser 241 milliards de dollars dans leurs réserves pour défendre leurs monnaies face à l’épée Damoclès qu’est la dévaluation. Dans 68 autres économies à bas et moyen revenu, le coût de l’emprunt est passé en moyenne de 5,3 % à 8,5 % en 2022.
Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov n’a pas manqué l’occasion de mettre un clou dans le cercueil en soutenant les déclarations de Lula : « Les Américains ont déjà sérieusement coupé la branche sur laquelle ils étaient assis, gérant la finance internationale et l’économie mondiale dans son ensemble, en utilisant le rôle dominant du dollar. La chute du dollar commence maintenant, elle n’est pas encore rapide, mais elle va certainement s’accélérer. Par conséquent, la voie des sanctions – nous l’avons toujours dit, – mène nulle part ».