Par | Nawfel Milady
L’intrigue commence lorsque le godet d’une pelleteuse mécanique buta sur un obstacle inattendu, en fait une dalle de pierre qui cachait un long escalier taillé dans la roche. Cet escalier est construit d’un seul tenant et s’enfonçait profondément sous terre. On pensa d’abord à un abri secret que les militaires français utilisaient pour les interrogatoires et la torture du temps de la révolution puis, après une première inspection faite par le conducteur des travaux, on découvrit tout un réseau de galeries où étaient disposées des statues n’ayant nulle ressemblance avec ce que les scientifiques ont découvert jusqu’à présent.
Appelé à explorer les lieux, Safia et son équipe d’archéologues découvrent avec stupéfaction que le lieu est en réalité un site qui semble remonter à l’aube de l’Humanité. Mais la joie de la découverte sera de courte durée.
Menés par des prétendus hommes de religion, des hommes et des femmes encerclent le chantier, exigeant l’arrêt immédiat des travaux de prospection et la destruction de toutes les idoles.
Débute alors des journées harassantes où il fallait contenir les assauts répétés des protestataires chauffés à blanc par le discours haineux et intolérants de quelques bigots, et les tentatives de « l’adjoint à l’Administrateur » de les raisonner quant à l’utilité des fouilles archéologiques et donc de la connaissance de l’histoire du pays.
Entre les deux protagonistes, Safia n’avait d’yeux que pour ses statuettes…
Pour corser le tout, le conducteur des travaux est pris d’une soudaine folie ; il aurait été possédé par des esprits maléfiques incarnés, justement, par les statuettes.
Quelques extraits :
« Le mouvement de protestation qui s’était mis en branle s’arrêtait provisoirement. Une parenthèse enchantée. Une trêve donc, non pas un abandon. La foule se dispersa lentement par petits groupes. La clameur se tut, hormis des éclats de voix par intervalles de plus en plus ténus. Puis tout sombra dans le silence. »
Jamais la ville nouvelle n’avait connu pareil climat d’agitation. Je la découvrais bien éloignée de l’atmosphère d’ordinaire si discrète qui régnait dans ses murs. Sans doute m’étais-je trop habitué à la connaitre à travers les études de projets et les plans d’urbanisme que j’avais fini par ne plus la comprendre dans sa réalité vivante.
« La rumeur gonflée de voix fiévreuse se fit de plus en plus proche. La foule qui la portait ne tarda pas à atteindre l’entrée du chantier, après s’être laissée aller au mouvement des rues de ce côté-ci de la ville. Il était midi. L’heure du rendez-vous. Les manifestants revenaient en nombre et cela ne m’enchantait guère. À grand concours de slogans, ils étaient à répéter bruyamment la même revendication que précédemment dans la matinée : « Une école. Une école. Pas de fouilles ». Alors que les cris fusaient à chaque instant un peu plus haut, comme je devais m’y attendre, celui qui faisait office de porte-parole des manifestants passa l’entrée du chantier, tandis que le portail grillagé se refermait sur lui. Il vint à ma rencontre, une serviette en simili cuir sous le bras. J’étais volontiers médiateur, mais je n’avais nul besoin de prendre des manières affectées ou des airs prétentieux pour investir pleinement ma mission. »
« Au sortir d’un dédale inextricable de galeries plus ou moins longues et pentues qui n’étaient pas sans rappeler les pyramides d’Égypte et leur labyrinthe fait à dessein pour confondre les hommes dans leurs malfaisances et les perdre à jamais dans les entrailles de la terre, Safia déboucha sur un corridor où tendait aux extrémités un écheveau de toiles d’araignées aux formes polygonales ou étoilées, tel une preuve de l’inviolabilité de l’espace au-delà (…)
Dans ses yeux agrandis se dessinait une immense salle de structure rectangulaire. Le plafond était si haut qu’on l’aurait dit fait pour une colonie de géants. Sur le sol, Safia pouvait distinguer une multitude de statues aux couleurs violemment contrastées, en pierre ou en terre cuite, des grandes et des petites, comme surgies du fond des âges. La tension des traits, l’intensité brûlante des regards sur des yeux fauves, leur donnaient une expression proche de l’animalité primitive. Le seul lien avec l’être humain se situait dans une partie infime du visage. Muette, sans même le frémissement d’un soupir, Safia fit un pas, puis un autre vers l’intérieur de la salle, comme si elle entrait toute vivante dans une sorte d’immortalité, d’état final et définitif parmi ces créatures mythiques, gardiennes d’un royaume condamné au silence, où tout était uniformément noir. »
« Eux, ils sont plus grands et plus forts, disait-il dans un râle furieux. Ils ont passé des milliers d’années dans les ténèbres. Vous ne pouvez rien contre eux. Votre sort est entre leurs mains ».
« Dans ce flot de paroles, Bendris répétait que le diable était dans la ville, marchait parmi ses habitants, et que bientôt ces derniers marcheront sur ses pas. »
Sans desserrer ma main de la sienne, je ne cessai de crier à Bendris : « Attention à la fosse derrière toi ». Brusquement il s’arracha à ma poigne et revint vers la statue bicéphale comme attiré par une force mystérieuse. Il la regardait fixement comme s’il entrait de tout son être dans les ténèbres de la pierre et adhérait à tout ce qui en émanait. Comme si à travers la vision des deux têtes cornues, il allait à la rencontre d’un double de lui-même.
Je voyais maintenant Bendris tourner autour de la statue, l’esprit plus embrouillé que jamais. Il faisait toutes sortes de gestes, comme s’il obéissait à un quelconque dessein. La foule criait des imprécations tout au long et y mettait tout le mépris que lui inspirait la statue à cornes, entre l’humain et l’animal.