Par Ahmed Halfaoui
Bien tard, je l’avoue, j’ai été finalement interpellé par ces reportages faits sur nos pays, ceux de ce « sud » s’entend, par des journalistes occidentaux. Comme tout téléspectateur, il m’a fallu du temps pour m’intéresser à la démarche, tant il était d’abord et essentiellement question de découvrir et de s’informer, de se divertir aussi, le cerveau disponible et ouvert à l’évasion et aux flots d’images, bien faites, bien présentées.
A ma décharge, il faut dire que la machine médiatique dominante a imposé, même aux plus malins, que l’on regarde le monde du bout de sa lorgnette. J’ai été interpellé, parce que le monde exige, désormais, moins de naïveté. Pourtant la chose était là, depuis toujours, depuis que l’Occident parle de nous. Je me suis rappelé les bandes dessinées de mon enfance. Je me suis rappelé de ces héros blancs et de ces « bons indigènes » acquis à la « civilisation », versus les « méchants » ennemis de cette même « civilisation ». Et j’ai retrouvé les éléments du décor. Même le plus médiocre, le plus indigent, des reporters campe la position du « civilisé » qui compatit du sort vécu par les « bons indigènes », eux-mêmes empressés et heureux de lui donner le change, en se plaignant soit de leurs gouvernants, soit de leurs conditions de vie. En rêvant tout haut de ce dont le film a mission d’enregistrer.
Les « bons indigènes » ont toujours le verbe qu’il faut et les yeux brillants de reconnaissance à la caméra, de toute la fascination du monde des blancs aussi. Il n’y a pas voix au chapitre à une lecture alternative à ce type d’identification. Insidieusement, le travail produit son fruit. Il n’y a pas de solution, en dehors de celle qui passe par le point de vue du « blanc », que porte le « bon indigène », qui aura droit à la visibilité et qui sera présenté aux siens comme modèle. Il n’y aura, pour les besoins du scénario, que des gros plans découpés dans les peuples visés. Exit les « indigènes » qui pensent que les pays des « blancs » ne sont pas des modèles de bien-être, de liberté ou de justice sociale.
Alors, je me suis mis à imaginer des reportages en miroir. Des reporters de nos pays iraient à la rencontre des gros plans en Occident, faire parler des « blancs » sur leurs gouvernants et sur leurs conditions. Sur le monde où ils voudraient vivre aussi.
Il serait extraordinaire de ne pas trouver de « bons blancs » qui ne pensent pas vivre au paradis. Et il s’en trouvera, à n’en point douter, qui n’apparaissent nulle part, en dehors des statistiques accessibles aux seuls initiés.
Il s’en trouvera que les reporters spécialisés chez les « bons indigènes » n’iront pas filmer et faire parler. Il s’en trouvera qui rêvent de ce que les cubains, les vénézuéliens ou les boliviens ont fait.
Partout, en Europe et aux Etats-Unis, il est loisible d’en rencontrer et par dizaines de millions qui veulent que cela change et qu’ils ne veulent plus du système qui les dirigent et les oppriment. Partout, ils existent qui ne connaissent des lumières de la civilisation que le déni et la violence de l’exclusion.
Partout, ils existent, parqués à la marge, reclus dans la mal vie. L’expérience est à tenter, elle pourrait donner l’image en miroir, au moins.
Ahmed Halfaou