Par Mohamed Arroudj
Depuis le début du mois de février, une mobilisation sans précédent ne cesse de monter en puissance contre la candidature de Bouteflika pour un cinquième mandat. Si les premières manifestations se limitaient au rejet de la candidature du président malade, discrédité et usé par près de 20 ans d’un pouvoir sans partage, elles ont vite évolué pour réclamer, sans ambages, le départ du système. L’ampleur de la protestation est sans commune mesure et n’a d’égale que cette énième l’humiliation que ce pouvoir veut imposer au peuple.
À la surprise des tenants du pouvoir qui pensaient que cette forfaiture allait passer comme une lettre à la poste et au grand étonnement de toute la classe politique tétanisée par des années de marginalisation, on assiste un véritable soulèvement qui a surgi des fins fonds de l’Algérie pour se répandre comme une trainée de poudre à travers le pays et gagner même la communauté algérienne à l’étranger.
Des appels pour à des manifestations sont lancés sur les réseaux sociaux et le 22 février a été un succès extraordinaire. La réussite de cette journée de mobilisation a suscité un immense espoir. Depuis cette date, la rue ne cesse de gronder et des secteurs entiers de la société rejoignent la mobilisation (étudiants, lycéens, avocats, artistes, enseignants, etc.). Cette convergence a fait du 1 puis et du 08 mars des dates qui vont, sans l’ombre d’un doute, entrer dans l’histoire de l’Algérie.
Les manifestations monstres des 1eret 8 mars ont suscité par leur ampleur, leur aspect pacifique et surtout par leur créativité, l’intérêt et surtout le respect dans le monde entier.
Nous vivons des moments historiques et le peuple qu’on croyait, incapable de la moindre réaction, est sorti soudainement de son mutisme pour démentir tous ceux qui pensaient qu’on pouvait lui imposer les pires des humiliations. Son éruption sur la scène politique est sans conteste le début d’un processus révolutionnaire.
Le mouvement gagne chaque jour des pans entiers de la société et toutes les manœuvres du pouvoir et de ses supplétifs, leurs déclarations, leurs faits et gestes n’ont fait que l’amplifier.
Par ailleurs, les travailleurs qui faisaient partie des millions de manifestants qui ont sillonné les rues du pays, n’ont pas pu se constituer comme une force agissante visible. Cela s’explique par la trahison spectaculaire de la direction de la centrale syndicale UGTA qui a abandonné son rôle historique et s’est mise au service du pouvoir qui mène une politique qui s’attaque aux droits des travailleurs et aux services publics.
Sous la pression de la base, de nombreuses unions locales et des syndicats d’entreprises affiliés dénoncent les prises de position de leur direction et appellent leurs adhérents à rejoindre le mouvement populaire comme l’ont fait les autres syndicats autonomes.
Ce nouveau développement propulse le processus révolutionnaire dans une phase ascendante et ouvre des perspectives plus qu’intéressantes pour le mouvement.
Pourquoi n’a-t-pas vu venir le mouvement?
Comme je l’indiquais plus haut, ce mouvement a surpris tout le monde par son ampleur et par la radicalité de ses revendications. Les conditions objectives étaient réunies depuis longtemps, mais devant l’absence d’une alternative à même de présenter un projet social et démocratique en rupture avec le système en place, les masses sont gagnées par la résignation, voire même par le désespoir. La provocation de la candidature de Bouteflika, en dépit de tout bon sens, a constitué l’étincelle.
En revanche, il faut signaler que la protestation n’a jamais cessé et cela dès le début du règne de Bouteflika. Ceux qui considèrent que cette longue période correspondant aux 20 ans de règne de Bouteflika, n’était qu’un long fleuve tranquille ne sont pas au fait des nombreuses protestations qui n’ont jamais cessé ou feignent de les ignorer. Bouteflika a été contesté dès le début. Faut-il rappeler qu’il s’est retrouvé l’unique candidat à la veille des élections de 1999 après le retrait de tous autres candidats et pas des moindres lorsqu’ils se sont rendus compte de l’ampleur de la fraude électorale?
Le mouvement populaire de 2001 en Kabyle, une véritable insurrection, a été réprimé dans le sang avec le bilan extrêmement lourd de 126 morts. Et depuis, les mouvements de contestation n’ont cessé de défrayer la chronique (mouvement des chômeurs, la lutte contre l’exploitation du gaz de schiste, les grèves des enseignants et des étudiants, sans oublier les milliers de protestations sous forme d’émeutes et de blocages de routes pour des revendications locales liées aux problèmes de l’eau, de gaz, d’infrastructures, etc.).
Si, depuis des années, le pouvoir a pu faire face à aux protestations en distribuant une partie de la rente pétrolière (augmentation des salaires, distribution des logements et des crédits sans intérêts, etc.), sa marge de manœuvre s’est retrouvée réduite comme une peau de chagrin avec la baisse sensible du prix des hydrocarbures. Cela ne constitue qu’une partie de l’explication. L’autre partie est à trouver dans les évolutions dramatiques de ce qu’on a appelé les révolutions arabes. En effet, l’horreur et l’ampleur de la destruction en Syrie et en Lybie suffiraient à elles seules à refroidir les ardeurs des plus motivés, sans oublier évidemment les affres de la guerre que le terrorisme islamiste a mené au peuple pendant des années. On croyait que cette tragédie allait constituer un rempart éternel contre toute velléité de protestation. Dans le même ordre d’idées, il faut noter le fait qu’en haut lieu, on pensait, dur comme fer, que le mythe présentant Bouteflika comme l’homme qui a mis fin aux années de guerre allait les protéger de la grogne populaire d’une grande ampleur.
Toutes ces raisons ont laissé croire aux clans qui constituent le régime qu’ils étaient autorisés à commettre toutes les horreurs et à agir en toute impunité d’où leur arrogance sans limites et leur mépris du peuple en osant cette énième humiliation au peuple : présenter aux élections un candidat malade qui ne parle pas et qui ne marche pas.
ARROUDJ Mohamed