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« La main étrangère »

Parce qu’il nous a paru que cet article écrit à la veille de l’élection présidentielle 2014

La main étrangère est devenu un des sujets de moquerie de la campagne électorale de la présidentielle algérienne, notamment dans les médias et parmi les détracteurs de la candidate Louisa Hanoune dont le terme sert même à la caractérisation de cette dernière pour des besoins évidents, chez certains, de réduire la portée des autres propositions de son programme en la confinant dans le rôle peu reluisant de celle qui ne cesse d’agiter un prétendu épouvantail, et chez d’autres ils sont majoritaires par ignorance de ce que recouvre cette notion.

Qu’est-ce à dire que ceci ? Le syndrome de la main étrangère et un sujet bien connu dans la neurologie clinique, désigné également de la main capricieuse et anarchique « provoquant chez les personnes qui en sont atteintes des mouvements incontrôlables de la main qui semble dirigée par une volonté externe », selon la définition que donne wikepédia. Transposée dans le monde de la politique et des relations internationales, le phénomène voisine avec la notion de complot, en l’occurrence extérieur destiné à déstabiliser les gouvernements insoumis et rebelles aux injonctions des grandes puissances. Ainsi  présenté, la théorie de la main étrangère ne rencontre le plus souvent que mépris dans les rangs des élites et des représentants des mouvements, engagés dans la lutte pour le « changement démocratique », qui estiment que c’est une rhétorique, voire un chantage qui agit comme alibi au despotisme et à la préservation des régimes autoritaires. D’aucuns considèrent que cette fameuse main étrangère se niche au sein même du régime. Pour cette catégorie de personnes, la seule main étrangère qui vaille la peine d’être stigmatisée est le pouvoir en place qui, par son refus de se soumettre à la volonté du peuple et aux normes démocratiques, crée les conditions favorables à l’intervention de la main étrangère.

En somme, cette dernière ne serait qu’une sorte de bourourou (épouvaantail) que les tenants du pouvoir sortent chaque fois qu’ils sont contestés par le peuple. D’une certaine manière, ceux qui tiennent ce raisonnement ne sont pas dans le tort et appuient leur scepticisme par des exemples concrets comme l’invasion de l’Irak, la destruction de la Libye et de la Syrie qu’ils imputent à leurs dirigeants qui ont durant des décennies écrasé leurs peuples  sous leurs jougs, les contraignants en désespoir de cause à solliciter l’aide étrangère pour les délivrer des griffes de ces dictateurs. Louisa Hanoune ferait-elle tout faux, elle qui remet une couche à cette main étrangère à chacune de ses sorties de campagne ? En vérité, la fortune que connaît en Algérie depuis quelque temps l’expression est plus une interprétation péjorative des médias mainstream des propos de la secrétaire générale du Parti des travailleurs sur les dangers extérieurs qui guettent l’Algérie à travers des plans visant à attenter à sa stabilité, voire à son intégrité territoriale. Il est clair qu’en s’adressant à des assemblées de plusieurs centaines de personnes qui n’ont pas tous une perception aigüe des faits politiques, il peut paraître tout à fait normale dans le cadre d’une campagne de persuasion qu’elle recoure à des mots simples et frappant  pour alerter sur la gravité de la situation à laquelle fait face le pays.

Peu importe que ce soit Louisa Hanoune qui le dise ou un autre, le fait est que la main étrangère existe bel et bien. Et ce n’est pas un épouvantail comme certains tentent par la raillerie de la banaliser. Elle renvoie à un phénomène bien concret, mais qui s’est dissipé au fil de « l’infitah » et de « l’inbitah » (ouverture et soumission à la doxa néolibérale) au nouvel ordre international et à la domination américaine. Jusqu’au milieu des années 80, quand on fustigeait les ingérences extérieures, on ciblait principalement l’impérialisme, le néo-colonialisme et le sionisme ennemis des peuples et de leurs acquis quand le peuple avait aussi un sens autre que celui auquel il est aujourd’hui voué. Il est inutile de revenir sur les méfaits de l’impérialisme tant cela exigerait des dizaines d’articles, mais disons juste que la guerre, la destruction, la division et la soumission du monde en zones d’exploitation, de spoliation et en sphères de dépendance sont les traits essentiels de sa quête de  domination même avant sa forme actuelle capitaliste monopoliste.

Cette caractérisation de l’impérialisme par Tacite dans « Le discours de Galgacus », parlant des Romains, n’a pas pris un ride: « Pillards de l’univers, depuis que les terres se sont mises à manquer à leur dévastation généralisée, ils explorent aussi désormais du côté de la mer : si l’ennemi est riche, ils sont cupides, s’il est pauvre, ils sont arrogants, eux que ni l’Orient, ni l’Occident n’ont rassasiés : seuls parmi tous , ils convoitent avec une égale passion les richesses et la pénurie. Enlever, massacrer, piller, voilà, usant du mensonge [avec des mots trompeurs], ce qu’ils appellent l’empire, et, là où ils font un désert, ce qu’ils appellent la paix. »

L’impérialisme, à l’encontre des intellectuels bien-pensants de la démocratie qui ont crû le phénomène évanoui dans la mondialisation-globalisation néolibérale des marchés, des modèles de consommation et des systèmes démocratiques, est en réalité, à cause de ses contradictions intrinsèques et de part les contradictions nouvelles dues à juste titre à la globalisation, est entré dans une nouvelle phase agressive pour faire face à sa crise structurelle et celle plus pertinente de la valorisation du capital depuis que la globalisation tend à être remise en cause dans bien des endroits dans le monde. Quand il ne prône pas les méthodes guerrières, ses effets de domination s’expriment dans chaque pays de façon particulière par l’intériorisation au plan interne des contradictions au plan externe du système impérialiste. L’Algérie n’échappe pas à cette règle en dépit de son insertion tardive et limitée dans le jeu des puissances et de la logique impérialiste, à travers notamment les transformations libérales, notamment économiques des années 90 (ajustement structurel, ouverture du marché national à la concurrence et aux investissements étrangers, privatisations, etc.)  Les dispositifs d’ajustement structurels appliqués presque partout dans le monde ne sont pas des mécanismes économiques purs ou neutres comme n’ont eu de cesse de le déclamer les tenants du libéralisme, mais concomitamment des instruments de domination politiques par les aboutissements qu’ils produisent au niveau du bloc social au pouvoir dans chaque Etat quand ils sont conjugués aux contradictions internes. Dans les pays nouvellement indépendants, comme l’Algérie caractérisés par la prédominance d’économies de monoculture et extraverties, la tendance induite par l’application des dispositifs d’ajustements structuraux est à la consécration du rôle dominant des secteurs compradores de la bourgeoisie sur l’appareil de l’Etat.

Les luttes au sommet de l’Etat dont le point culminant a été la charge de  Amar Saadani contre le chef du Département de la sécurité et du renseignement, le général Médiene Tewfik n’est que l’expression politique virulente de la transformation du rapport de force qui a affecté le bloc social dirigeant en faveur des classes directement et organiquement liée au capital impérialiste au détriment des segments de la bourgeoisie intérieure, qui est, au passage, elle-même sous produit du développement dépendant, mais plus ou moins intéressée par un développement d’un marché local, la défense des certaines industries nationales publiques ou privées et partant de certains acquis sociaux. Cette évolution est aussi inscrite dans la logique de la mise au pas durant la « décennie rouge » des masses populaires et du mouvement démocratique dans son ensemble. Pour avoir une idée assez large du poids des compradores, il n y a qu’à jeter un œil sur le volume et la structure des importations de l’Algérie dans les dernières années. En 2013, elles ont atteint les 60 milliards de dollars dont seulement 30% sont destinées à l’équipement de l’outil de production. Les produits pharmaceutiques, les voitures automobiles, les achats de luxe ont la part du lion. Cependant et malgré le poids politique des compradores, l’Algérie constitue l’un des rares pays au monde à résister à l’invasion des investisseurs étrangers qui rencontrent des entraves diverses. On citera la fameuse règle du 51/49 qui oblige les capitaux étrangers à s’associer à hauteur de 49% avec un partenaire national, le « climat défavorable des affaires », pour une reprendre une certaine littérature en vogue et la situation sécuritaire du pays tout au long des décennies passées. Ce sont ces verrous que le capitalisme international et les fortunes locales amassées dans les activités d’import-import et le pillage par le biais de la grande corruption voudraient voire sauter dans les prochaines années pour permettre leur valorisation comme capital et qui renseignent sur les divisions aux sommets de l’Etat.

En attendant ce climat toujours favorable, l’impérialisme et ses relais ne dorment pas sur leurs deux oreilles et quand bien même vous les aurez chassés par la grande porte, ils reviendront par la fenêtre comme on dit. L’une des stratégies de pénétration impérialiste dans les pays non encore totalement acquis au règne de l’affairisme est l’investissement symbolique. Nous laisserons de côté le rôle que jouent les institutions financières et autres organisation internationales comme le FMI, la Banque mondiale, le G.8, le forum de Davos, etc, dans la diffusion de la culture du marché et comme vecteurs de la pénétration du capital, pour nous intéresser au mécénat qui est un phénomène de firmes, à travers les fondations, agences et autres organisations non gouvernementales comme USAID, AIPAC, CANEVAS, OTPOR, Freedom House, etc aux ramifications se rejoignant souvent au niveaux d’agences de sécurité gouvernementales notamment américaines.

Cette logique de diplomatie publique centrée sur les sociétés civiles inaugurée par Bush fils sera le fer de lance de la politique étrangère américaine sous Barack Obama,  après que la politique de la carotte et du bâton pratiquée par les Etats-Unis s’est avérée insuffisante. Il faut souligner ici le rôle joué aussi par les fondations arabes et musulmanes du Golfe arabique et de la Turquie. Le Qatar et la Turquie sont très actifs dans le domaine de l’engagement humanitaire – mais pas uniquement- qu’ils voient comme une opportunité de servir des intérêts de politique étrangère et d’influence dans de nombreuses régions arabes.  L’émirat finance aussi les islamistes et leurs activités diverses au Maghreb, les djihadistes en Syrie, sans oublier les Frères musulmans égyptiens. Islamisme, faut-il le souligner, gagné à la doctrine libérale faite de culture managériale et de références religieuses, mais refusant la liberté et la justice. Bref, un islam conservateur tout à fait dans les cordes du capitalisme mondialisé. Dans le cas du Qatar, avatar du capitalisme et supplétif docile de l’impérialisme, la recherche dés à présent des débouchés et des relais de croissance à l’étranger à ses banques islamiques est un objectif vital.

Ramené aux péripéties de la campagne électorale pour la présidentielle, ces éléments permettent de distinguer nettement les lignes de crête qui séparent les différents acteurs qui se sont mis en situation par rapport à cette joute électorale. L’on observe de prime abord la prédominance de discours cosmétiques sur la démocratie et les libertés mais dénués de tout contenu concret qui indique une quête d’indépendance vis-à-vis du système mondial dominant et de ses supplétifs à l’intérieur représentés par les compradores. La résurgence des clivages autour de la nature de l’Etat entre courants laïcisant et courants islamo-conservateurs témoigne des résultats de correspondance du travail de la diplomatie publique que mène dans des directions opposées les logiques des capitaux issus de l’un ou l’autre des foyers de valorisation de ces derniers, mais toujours in fine  en ayant à l’œil l’objectif primordial : s’ouvrir des marchés, se pourvoir une main d’œuvre bon marché et s’assurer l’approvisionnement en matières premières et énergétiques.

Il ne s’agit pas ici de douter des intentions des acteurs en place, mais pour aller dans le sens de max Weber le résultat de l’action dans la société est souvent très différent de ce que les acteurs pensaient ou voulaient réaliser. Et c’est le moindre des reproches qu’on adresse aux mouvements Barakat et toutes ses déclinaisons citoyennistes, le mouvement RAFD d’obédience islamiste -curieusement moins médiatisé que le premier- tous unis par l’opposition au quatrième mandat du président actuel Abdelaziz Bouteflika, et soutenus également par des partis politiques et des personnalités appelant tous au boycott du scrutin du 17 avril et à sa délégitimassions, voire à la chute du régime ne présentent pas d’alternative cohérente et crédible au régime. Tout au mieux, cette myriade d’acteurs tous plus ou moins appartenant à ces deux segments cités précédemment –citoyennistes laïques et citoyennistes islamiques-  se révèlent n’être que comme des afficheurs de la réverbération des effets de la diplomatie publique et sa métabolisation.

Il n’en fallait pas plus pour certains pour évidemment crier au complot qui serait ourdi de l’extérieur pour faire tomber l’Algérie dans l’escarcelle du « Printemps arabe », à l’instar de Louisa Hanoune, la seule à être stigmatisée pour cette posture théorique, même si elle n’est pas la seule à en attirer l’attention. En réalité, les tensions aux frontières avec le Mali et la Tunisie, la dissémination des armes du régime libyen,  la crise qui frappe la vallée du M’zab ajoutés à la crise qui affecte le régime et sa fuite en avant incarnée par la candidature de l’actuel président, un homme à la santé chancelante et otage, avéré, des secteurs de l’affairisme et leurs clientèles renforcent la croyance dans la probabilité d’un complot qui se trame contre l’Algérie.

Si dans l’absolu, l’idée de complot réunit plus d’un élément en sa faveur, il n’en demeure pas moins que le complot dont il est question ici n’est que l’expression, de l’ordre du jour, des modalités et des rythmes de réalisation du processus stratégique de la mondialisation, le nouveau visage de l’impérialisme et non pas un quelconque théâtre d’ombre où les acteurs ne seraient que des marionnettes dépendant unilatéralement de facteurs externes. Autrement dit, la mondialisation ne s’arrête pas à la surface de notre peau, et d’une certaine manière elle agit comme socialisation et s’impose à nous sur le mode de l’évidence. C’est cette intériorisation de ce destin mondialiste et sa métabolisation qui en définitive prend les habits du complot. Le processus stratégique de l’impérialisme est la résultante d’un enchaînement d’événements et de séquences qui forment une combinatoire complexe. Cette chaîne combinée répétitive et stable peut parfois, dans des situations de crises exceptionnelles du système, prendre la forme de projets aventuriers et agressifs (guerres, invasions, agressions, mercenariat, opérations clandestines de déstabilisations, etc comme au Nicaragua, en ex- Yougoslavie, en Irak, en Libye et actuellement en Syrie et en Ukraine.  Les processus stratégiques de la mondialisation, au sens de nouveau visage de l’impérialisme, s’ils ont la double propriété d’être aisément identifiables et observables, ils appellent, en revanche,  des ressorts et des moyens difficilement suspects.

A partir de tout ce qui précède et pour revenir à la situation en Algérie, se pose la question que faire pour conjurer ce « complot » impérialiste porté par deux logiques toutes les deux destructrices, celle oligarchique de la cinquième colonne mue uniquement par le statu-quo et la préservation de ses intérêts de puissance,  et celle citoyenniste d’obédience laïque ou islamiste, opportuniste, aventurière et sans autre horizon indépassable que celui de reproduire les possibilités de la crise, des humiliation du système capitaliste et des inégalités. Deux logiques qui travaillent main dans la main ni plus ni moins à la disparition de l’Etat national et à terme sa dislocation. Comment refuser de coopérer avec l’histoire quand celle-ci est déjà grosse d’un monstre à plusieurs têtes ? La question reste posée et il est évident, même si le temps nous est compté, comme l’a si bien expliqué Mouloud Hamrouche, «au fur et à mesure qu’on avance dans le débat nous allons découvrir comment s’en sortir ! » Mais d’ores et déjà, seule une position anti-impérialiste sous forme de digue devrait réunir les acteurs appelant au changement au delà de leurs divergences doctrinales et tactiques.

Ahmed KACI

11 avril 2014

 

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