Note de l’Editeur. Maghrebfacts| En affichant leur volonté de se positionner comme une incontournable alternative pour l’Europe en matière d’approvisionnement en gaz naturel, l’Algérie et le Nigeria semblent résolus à pousser leur leadership en accélérant leurs démarches pour prendre leurs positions sur l’échiquier mondial de l’Energie. Avec l’enlisement de la crise Ukrainienne et les pressions américaines sur le gazoduc Northstream2 qui relie la Russie à l’Allemagne, les européens ont plus que jamais pris conscience que le projet du gazoduc algéro-nigerian constitue une véritable clef pour sortir de l’engrenage. Les deux plus grandes pays africaines comptent de leur part, sur la bonne distance qu’ils entretiennent entre les antagonistes de cette interminable guerre, dans laquelle l’Europe ne s’est jamais autant rendu compte de sa vulnérabilité qui demeure sujette aux humeurs de l’Oncle Sam.
Pas plus tard que mardi dernier le ministre algérien de l’Energie et des Mines, Mohamed Arkab, s’est entretenu, par visioconférence, avec le ministre d’Etat des ressources pétrolières du Nigeria, Timipre Sylva, avec lequel il a abordé cet ambitieux projet.
Selon un communiqué du ministère, lors de cet entretien qui s’est déroulé en présence du PDG du Groupe Sonatrach, les deux ministres ont abordé les relations de coopération et de partenariat entre les deux pays, qualifiées de « très bonnes, ainsi que des perspectives de leur renforcement ». Le projet du gazoduc dont l’études de faisabilité est à un stade très avancé était à la tête de l’ordre du jour.
Sur le site du foreignpolicy, l’analyste spécialisé dans les questions politiques et géopolitiques Germán Gorraiz López, nous livre une vision très instructive sur les tenants et les aboutissants de cette crise sans fin. Elle livre également des pistes qui démontrent à quel point il est plus que jamais temps pour que l’Algérie et le Nigeria de rentrer en jeu en se présentant comme clefs incontournables pour une Europe affaiblie par les pressions du Kremlin et le diktat de la Maison Blanche.
Le Texte est traduit de l’anglais. « What is hidden behind the Ukraine crisis? »
La hausse des prix du gaz et de l’électricité aurait surpris l’Europe avec des réserves de gaz à des niveaux historiquement bas (60%) et aurait mis en scène l’échec retentissant des politiques énergétiques d’une UE incapable d’atteindre une autosuffisance énergétique utopique.
L’un des facteurs qui affecte le plus la dépendance énergétique d’un pays est la quantité de pétrole et de gaz qui doit être importée pour l’industrie et les transports. La moyenne européenne étant de 52% et la Russie étant le principal fournisseur de gaz, de pétrole et de charbon de l’UE (avec respectivement 40%, 30% et 25%), il s’ensuit que l’UE serait un îlot énergétique et souffrirait d’une forte dépendance énergétique de la Russie d’où la récente flambée des prix du gaz et de l’électricité en Europe.
La Russie et la géopolitique du gaz.
L’Algérie exporte son gaz à travers trois gazoducs: deux Algérie-Espagne (dont un passant par le Maroc) qui ne sont pas connectés au réseau européen et un troisième Algérie-Tunisie-Italie. Après la crise en Ukraine, les dirigeants de l’UE auraient établi comme priorité la nécessité d’améliorer la connexion gazière avec la péninsule ibérique au moyen d’un gazoduc reliant l’Espagne à la France via la Catalogne (gazoduc MidCat) par lequel l’Espagne serait le réseau énergétique européen du gaz d’Algérie, (équivalent à la moitié de ce qui vient de Russie via l’Ukraine), un projet qui serait resté dans les limbes en raison de la myopie des régulateurs européens et qui aurait rendu impossible que le gaz algérien soit l’alternative européenne à la dépendance énergétique russe.
Le projet de gazoduc connu sous le nom de Nabucco West projeté par les Etats-Unis pour transporter le gaz azéri vers l’Europe via la Turquie, la Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie et éviter ainsi la dépendance énergétique de la Russie vis-à-vis de l’UE a échoué car le Turkménistan, l’Ouzbékistan et le Kazakhstan ont favorisé le projet russe du gazoduc South Stream, choisissant le tracé alternatif du Trans Adriatic Pipeline, (TAP, Trans Adriatic Pipeline), par lequel l’Azerbaïdjan exportera son gaz vers l’Europe via la Grèce, l’Albanie et l’Italie. Mais, il ne peut transporter qu’un tiers du projet Nabucco, il ne représente, donc, aucune menace pour les intérêts de la Russie, surtout qu’après que l’Azerbaïdjan se soit finalement retiré du projet en juin 2013.
La Russie a présenté en 2007 le projet de gazoduc South Stream, un gazoduc de 40 milliards de dollars qui traverserait la Russie, la Bulgarie, la Serbie, la Hongrie, la Slovénie et l’Italie et dont la construction devait débuter en juin 2014, garantissant l’approvisionnement de gaz russe à l’UE en évitant le passage par l’Ukraine instable. Ainsi, après la crise du gaz de l’hiver 2006 et les coupures d’approvisionnement produites dans d’innombrables pays de l’UE (80% du gaz total que l’UE importe de Russie transite par l’Ukraine et fournit plus de 70 % à des pays comme les pays baltes, Finlande, Slovaquie, Bulgarie, Grèce, Autriche, Hongrie et République tchèque), ce projet dormira dans les limbes des rêves après le refus de la Bulgarie d’y participer en raison de la pression des Etats-Unis. En 2020, le gazoduc Turk Stream de 900 kilomètres a été conçu pour transporter du gaz naturel de la Russie vers la Turquie, ce qui profitera à des pays comme la Hongrie, la Serbie et la Bulgarie pour les inclure dans l’orbite russe, transformant ainsi l’Ukraine en une île énergétique.
La coalition d’intérêts russo-allemands a conçu le projet Nord Stream qui relie la Russie à l’Allemagne par la mer Baltique, avec une capacité de transport maximale de 55 000 millions de mètres cubes de gaz par an et valable 50 ans. Cette route est considérée comme vitale pour l’Allemagne et les pays nordiques. C’est pourquoi elle a été déclarée « d’intérêt européen » par le Parlement européen et cruciale pour la géostratégie énergétique russe. Ainsi, avec ces routes, la pince énergétique russe serait fermée en excluant la Pologne et l’Ukraine comme territoire de transit et la Russie atteindrait ainsi son double objectif géostratégique d’assurer un flux ininterrompu de gaz vers l’Europe par deux routes alternatives, les transformant en «îlots énergétiques» vers la Pologne et l’Ukraine.
Les Etats-Unis et le schiste.
L’objectif sans équivoque des Etats-Unis serait de remplacer la dépendance russe vis-à-vis de l’énergie européenne (30 % du gaz importé par l’UE provient de Russie) par une dépendance à la fracturation hydraulique, inondant le marché européen de GNL (gaz naturel fracturé aux Etats-Unis et transporté par transporteurs de gaz) pour faire baisser les prix du gaz russe. Un autre objectif était de promouvoir l’utilisation de la technique de fracturation dans tous les pays d’Europe de l’Est, le soi-disant « arc de fracturation européen » qui s’étendrait des Etats baltes à l’Ukraine européenne, en passant par la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie et que cela dépendrait de la technologie d’entreprises américaines telles que Chevron ou Shell.
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Ainsi, la Pologne, qui aspirait à devenir, avec ses deux terminaux, le principal centre de distribution de gaz naturel liquéfié (GNL) importé sur le territoire européen et après avoir dénoncé que « ce gazoduc pourrait renforcer la dépendance de l’UE vis-à-vis du gaz russe et consolider la position dominante de Gazprom sur le marché européen », aurait réussi à paralyser la construction dudit gazoduc avec l’objectif sans équivoque de ralentir la construction de Nord Stream2. Ce gazoduc a une longueur totale de 1 200 km avec un coût estimé à environ 11 000 millions de dollars. Il transportera le gaz directement à travers la Russie baltique vers l’Allemagne et alors qu’il était déjà construit à 80 % et dans une tentative désespérée d’empêcher son achèvement, le Sénat américain a approuvé le 17 décembre le National Defense Authorization Act de 2020 signé par Donald Trump qui prévoyait des sanctions économiques contre les entreprises participant à la construction du gazoduc Nord Stream 2.
Cela représentait un missile dans la ligne de flottaison de la politique énergétique conçue par l’Allemagne lorsqu’Angela Merkel a déclaré qu’il s’agissait d’une « déclaration de guerre des Etats-Unis contre l’Allemagne », une réaffirmation tardive de la souveraineté allemande qui a amené les Etats-Unis à cesser de boycotter les travaux et à bénir l’aboutissement du projet gazier qui reste cependant inactif faute d’avoir reçu par l’Allemagne les autorisations nécessaires pour débuter sa livraison. Or, la crise actuelle du prix du gaz va être utilisée par Vladimir Poutine pour -par un mouvement audacieux de ses tours dans le jeu d’échecs géopolitique qui se déroulerait sur le territoire ukrainien- rééditer la guerre du gaz russo-ukrainienne de 2006 avec l’objectif sans équivoque de condamner le secteur pro-européen ukrainien à l’asphyxie économique et à la famine énergétique, n’excluant pas une réaffirmation tardive de la souveraineté européenne par la France et l’Allemagne, qui se traduirait par la suspension des sanctions et un rapprochement ultérieur avec la Russie, laissant les pays de la « fracturation européenne arc » (Pologne, République tchèque, Slovaquie et Hongrie, Ukraine, Roumanie et Bulgarie) sous l’orbite américaine et exposés à de nouvelles guerres du gaz.
Germán Gorraiz López,
analyste politique La source originale de cet article est Observateur continental Copyright © Germán Gorraiz López, Observateur continental, 2022