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Algérie: La fin d’un monde, un 5 juillet

Par: Ahmed Halfaoui

Il y a un comportement, assez répandu, que l’on peut remarquer chez les Algériens, c’est la propension à résister à l’autorité et à rechigner à obéir. La vigilance à fleur de peau, comme si une menace permanente pesait sur leur personne et la fierté en masque permanent, sur le visage, jusqu’à l’insolence, l’Algérien type est sans concession sur le territoire qu’il s’est délimité, dans son rapport au monde. Ce comportement ne vient pas des gènes, ni n’est tombé du ciel. Il s’est construit dans les souffrances et dans les luttes sanglantes contre le dernier oppresseur étranger.

Ce comportement a reçu son paraphe le jour de l’indépendance du pays. Bien sûr que les jeunes l’arborent sans avoir conscience de son origine, mais la transmission parentale a fait son travail, comme le fera la transmission de ces mêmes jeunes devenus parents. C’est une loi de l’Histoire, qui n’est jamais stérile, car l’Histoire façonne et transforme ceux qui la font pour des générations.

Quand l’Algérien a commencé à se transformer, il subissait les pires dénis. Celui de vivre, celui d’avoir une terre, celui de dire, celui de se plaindre, celui d’être ce qu’il est, celui d’être humain. Il en subissait les blessures.

Lorsqu’il a décidé que les dénis cessent, il a accepté de mourir pour qu’ils cessent. A partir de ce moment, il a accompli sa métamorphose. Le 5 juillet 1962, cela faisait déjà longtemps qu’il n’était déjà plus le même. Il avait juste acquis le droit de ne plus avoir à se battre contre ces dénis qu’il venait de détruire et avec eux le système qui les nourrissait.

Depuis, 57 années ont défilé, sans que les partisans du système déchu aient accepté cette issue. Mais la culture de la mémoire revancharde ne doit pas prendre en compte qu’une mémoire contraire, somatisée elle, reste plus vivace que jamais, au point qu’elle n’a besoin ni de commémoration, ni de profession de foi pour se nourrir et prospérer. La disparition des derniers acteurs n’y fera rien.

Un peuple qui a vécu le colonialisme, n’a besoin ni de livres, ni de leçons, ni de monuments, pour en conserver les crimes et pour perpétuer le souvenir de sa marche libératrice. Il a mieux que cela. Il a le fait d’en être sorti et cela suffit pour que cela soit inscrit dans chaque instant de la vie de chaque enfant qui naît.

Cela suffit pour que cela fuse de chaque rue, de chaque mur, de chaque bout de terre, de chaque rocher et de chaque talus. Il en est ainsi du destin des hommes, depuis que certains se sont donné le droit d’en dominer d’autres et qu’ils ont créés, dans le même temps, les conditions de révolte et le désir de liberté et de justice au cœur de l’Humanité souffrante.

En 1954, ce sont ces sentiments venus du fonds des âges qui ont animés les premiers combattants et qui ont attiré tous les justes de la terre à leurs côtés. Ce sont ces sentiments, qui bouleversent l’ordre et la réalité régnante, qui ont rendu impuissantes la terreur et les armes les plus meurtrières.

Ce sont ces sentiments qui ont fait de la victime un combattant et du colonialiste une cible vulnérable. Ce sont ces sentiments qui font que le monde peut changer de base.

Quand ce colon criait : « Ma récolte !…Ma récolte !… » Il était, dans son désarroi, ce monde qui s’écroulait. Autour de lui, un monde était né, qu’il n’avait pas vu venir et qu’il ne voyait pas, il ne voyait que lui-même, comme il avait l’habitude de faire, jusqu’au bout, jusqu’à la fin. On ne sait pas ce qu’il a fait ensuite et s’il a fini par comprendre qu’il ne sera plus jamais le même. Il paraît que beaucoup de ses semblables ont arrêté leur vie autour de cette date et qu’ils mourront sans l’avoir quittée.

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