Par: Ahmed Halfaoui
On ne parle de crise économique que depuis que les Etats Unis connaissent des difficultés et que l’Europe ait suivi. Alors que ce genre de difficultés affecte plus de cent cinquante pays de par le monde. Depuis un siècle au moins, le chômage, la faim, le dénuement, l’illettrisme, les maladies, frappent des centaines de millions d’êtres humains.
Ces derniers temps, on comptent 820 millions d’individus touchés par la famine et cent millions d’autres en situation d’insécurité alimentaire. Mais on ne parlait pas de crise. C’était dans l’ordre des choses.
Le monde se portait bien, de ce point de vue qu’il y avait des pays qui avaient su «choisir le bon modèle de développement et les autres non». Tant pis si, pour ne citer que cet aspect des choses, les trois bourses dans le monde qui fixent les prix de la nourriture (des céréales en particulier) sur les marchés à terme, sont les bourses de Chicago, de Kansas City et de Minneapolis. Tant pis si ces prix sont ceux qui vont déterminer tous les prix à l’échelle mondiale.
Le temple marché planétaire, construit pour uniformiser les politiques nationales sous un seul et même credo, vise l’accomplissement de cette main mise sur tout le système d’échange et par delà des choix économiques. Mais la «crise» est venue tout remettre à plat. Pour le plus grand bien des pays qui languissaient d’entrer à l’OMC et qui n’ont pas fait le grand saut. La crise va autoriser le grand déballage nécessaire aux Etats du Nord soucieux de «sauver ce qui peut être sauvé».
On peut apprendre, selon certains experts, que les transferts illicites en provenance des «Pays en voie de développement» varient annuellement de 500 à 800 milliards de dollars. Le transit est secret et se fait via des paradis fiscaux et judiciaires (PFJ) vers les pays du Nord. «Les stratégies de fraude et d’évasion fiscales des entreprises multinationales seraient responsable de 65% de cette fuite de capitaux illicites, ce qui représenterait en moyenne 425 milliards annuels.»
On trouve, ici, les «bienfaits» des mythiques investissements directs étrangers (IDE) tant louées par nos «experts» locaux. Qui entonne le clairon de l’alarme, lorsque leur pays tente de limiter et de subordonner le commerce extérieur aux besoins de l’économie nationale et non à ceux des économies industrialisées. Alors qu’ils devraient se réjouir du fait que les IDE ne se soient pas déversés en masse et que l’Etat Algérien n’a pas pu accomplir sa mue en «Etat mondialisateur» (ce n’est pas faute qu’il ne le souhaitait pas).
Dans ce dernier cas on serait en plein dans la «crise» et non dans sa périphérie. On aurait eu droit à ces capitaux «toxiques» qui auraient parasités notre système financier et qui auraient obligés à la mobilisation de la rente pétrolière, non pas à soutenir nos entreprises en difficultés, mais à combler des gouffres financiers sans fond. Nos «experts» devraient savoir que la mondialisation, l’ouverture économique et le marché en général aurait ouvert la porte aux investissements de portefeuille et aux capitaux bancaires, «dont la logique est financière, et souvent spéculative, et qui sont beaucoup plus volatiles, étant sujets à des phénomènes de flux et reflux massifs et imprévisibles». Nous y sommes et nous avons devant nos yeux le spectacle de la Grèce, de l’Espagne, du Portugal et, très bientôt, de la France.
Malgré cette évidence, nos experts ne tentent même pas de moduler leurs conseils. Ils ne les agrémentent pas de rappels à la prudence, comme celle de se protéger contre la liberté débridée de circulation et de la fuite des capitaux. Ils ne nous informent pas que les pays du Nord ont un besoin mortel de liquidités et que leurs entreprises doivent rapatrier d’énormes quantités de capitaux pour assainir les comptes des banques et les compagnies d’assurances.
Mais c’est des décideurs politiques du Nord que nous viennent les vrais signaux, qui eux ne trompent pas. Les penseurs européens, ceux du Centre for European Policy Studies, professent la mise en place d’un » Fonds monétaire européen ». Ce FMI destiné à la seule Union Européenne, devrait constituer la parade aux « attaques » de la crise mondiale. Édifiant ! La puissante Europe, veut se barricader et des pays fragiles et sans recours, autre que l’effondrement, devraient continuer de croire à l’aventure de la mondialisation.
Des pays qui n’auront pas les moyens d’éponger les centaines de milliards de dollars comme peut le faire (jusqu’ à quand ?) le gouvernement des Etats Unis. Un gouvernement qui se trouvait contraint de recourir à des subterfuges pour doper le moral des détenteurs de capitaux. Il a opéré le recrutement (à court terme) de 132 000 personnes, dont la plupart étaient des chômeurs, pour procéder au recensement et au relevé de la population qui a lieu tous les dix ans. Le but étant, en améliorant, la statistique du chômage de faire croire qu’il y a une reprise de l’économie. On s’est très vite rendu compte de l’arnaque.
Mais revenons aux signaux des décideurs politiques du Nord. Lors de la tentative d’OPA de PepsiCo sur Danone, c’était en 2005, le premier ministre français, Dominique de Villepin a déclaré qu’il voulait « rassembler toutes les énergies autour d’un véritable patriotisme économique ». Il s’en suivit un débat en France et en Europe sur la protection des grands groupes nationaux contre les rachats étrangers. En février 2006, Dominique de Villepin s’oppose à l’OPA de l’Italien Enel sur Suez. La parade de l’Etat français a été la promotion d’une fusion entre Suez et le groupe GDF. L’Espagne a préféré une fusion de ses deux plus grandes entreprises en gaz et en électricité, Gas Natural et Endesa, contre la tentative d’OPA de l’Allemand E.On.
Et l’Allemagne couve jalousement le groupe Volkswagen de toute atteinte étrangère par une forte participation publique des Länder. Notons que cela se passe à l’intérieur de l’Union Européenne, qui nous a fait signer des accords léonins. Beaucoup d’économistes, protagonistes du débat, reconnaissent en demi-teinte que, «le patriotisme économique ne doit s’appliquer que dans des cas particuliers: si le marché laissé à lui-même ne fonctionne pas bien, ou si le secteur en question est vital pour un pays. Les industries de la défense, que les Etats protègent pour éviter le transfert de technologies, en sont un bon exemple.»
On se rend compte que le patriotisme économique est une pratique courante dans pas mal de pays et principalement les plus puissants d’entre eux. Les champions en la matière sont les parrains de l’OMC, les Etats Unis d’Amérique. En 2005, Washington a refusé le rachat par le groupe pétrolier chinois Cnooc de son concurrent américain Unocal. Il faut savoir, à ce propos, que, les États-Unis disposent d’un Comité pour l’investissement étranger aux Etats-Unis (CFIUS) chargé d’évaluer les acquisitions d’entreprises américaines.