Par Ahmed Halfaoui
Les jeunes algériens qui rêvent de quitter le pays ou qui l’ont quitté n’ont fait l’objet d’aucune étude sérieuse. Pourtant le sujet fait régulièrement la une de la presse, sert d’argument politique, agite les bonnes âmes, mobilise les services de sécurité et encombre les tribunaux.
Entre ceux qui invoquent des causes comme le chômage, voire la faim et ceux qui attribuent la fugue au concept plus général et sémantiquement plus prudent de « mal-vie », il est difficile de se faire une idée précise sur les déterminants réels du phénomène.
Les universités qui ont là une occasion providentielle de plonger dans les entrailles de la société ne font rien ou presque rien et l’Etat ne leur pose pas de questions. Elles ne font tout simplement pas leur travail et n’assument pas leur vocation.
Faute de mieux, la parole est alors donnée à des« spécialistes ès qualité », cooptés dans ce rôle par des journalistes en mal de « papier » sur le sujet, juste le temps d’un plateau télé ou d’un quota de signes, qui nous livrent plus des suppositions, des conjectures, des états d’âmes, que les conclusions étayées d’une investigation circonstanciée.
Quand on écoute, à l’occasion d’une émission quelconque, ceux parmi les jeunes qui ont réussi leur coup, on a droit, presque invariablement, à de pathétiques épanchements nostalgiques sur le « bled », à des regrets et à de la déception devant la dure vérité des lieux et le rêve initial.
A l’origine, il s’agissait de partir. Partir, parce que c’est mieux de le faire. Partir vers d’autres horizons où il fera mieux vivre. Partir, parce qu’on n’en peut plus de traîner son ennui et de supporter les matins vides de sens. Partir pour mieux réussir là où il sera plus facile de gagner plus.Partir pour pouvoir s’amuser.
Partir pour quitter l’enfer du quartier et le vide quotidien. Partir pour fuir le voisin et ses regards inquisiteurs. Partir pour se fuir soi-même. Partir parce qu’on est sûr de trouver ce qu’il n’y a pas ici. Partir vers ce que le miroir magique de ces chaînes piratées nous renvoient. Partir vers des pays où tout le monde est riche, en bonne santé, heureux, bon vivant, bien logé, véhiculé, libre, sans entraves, sans travailler ou presque.
Des pays où il ne fait ni froid ni chaud, où tous le monde est gentil et où tout est facile. Des pays qui fleurent le paradis, comparé à l’enfer d’ici. Un enfer né d’une comparaison, qui prend toute sa réalité, et s’en nourrit sans cesse. Y puisant son horreur et sa répulsivité, qui donnent l’énergie du passage à l’acte. Sans paradis, point d’enfer.
Une dialectique nourricière de fantasmes. Le duel peut se dérouler, inégal. Entre deux entités vaporeuses, dont l’une est vaincue d’avance, parce qu’elle est désignée pour ne pas figurer l’avenir, jamais !
Avec la dernière énergie sera tracé le chemin de la fuite. Car l’enfer est destiné à être fui, au prix de la mort. On ne meurt pas pour l‘enfer, on meurt pour le sublime et l’enfer, pire que la mort, la justifie.
Naît alors ce besoin impérieux de fuir vers le salut hypnotique. Autour, il n’y a que des encouragements et que des spectateurs qui applaudissent ou au pire compatissent. En fait, soient des fugueurs impuissants, soient de cyniques politicards, mais pas d’appels à la lucidité.
La statistique de la mort dans la houle implacable servira d’étendard à ceux qui savent déjà s’en servir.