Par | Heeba Nawel
Genève | Dans un communiqué percutant publié ce mardi, l’ONU a révélé que le controversé « projet Marty« , dévoilé en janvier par le ministère français de l’Intérieur, remet en question les fondements mêmes de l’accord de Nouméa, signé en 1998. Cet accord, qui promettait un transfert progressif des pouvoirs de la France vers le peuple autochtone de la Nouvelle-Calédonie, garantissait la reconnaissance de l’identité kanake et des institutions coutumières. Cependant, aujourd’hui, cet héritage est menacé par une volonté de démantèlement aux conséquences potentiellement catastrophiques.
Les experts ne cachent pas leur indignation : la tentative de saper l’accord de Nouméa qui « constitue une atteinte directe aux droits humains des Kanaks et compromet l’intégrité du processus de décolonisation ». Ils dénoncent « le mépris flagrant de la France pour les droits de participation et de consultation des Kanaks, ainsi que leur droit au « consentement libre, préalable et éclairé ». « Le gouvernement français a négligé ces droits fondamentaux », affirment-ils, soulignant l’absence de dialogue avec les autorités coutumières, comme le Sénat coutumier.
Le Parlement français a adopté le 14 mai 2024 un projet de loi qui dégèle le corps électoral en Nouvelle-Calédonie, un territoire non autonome sous administration française dans le Pacifique Sud, démantelant un des fondements de l’Accord de Nouméa.
Depuis février 2024, des dizaines de milliers de Kanaks s’élèvent pacifiquement contre ces réformes, ce qui a poussé la France de déclarer l’Etat d’urgence. La tension a rapidement dégénéré en violences en mai, entraînant la mort tragiques de 11 personnes dont 2 gendarmes, ainsi des centaines de blessés.
Les experts dénoncent la réponse brutale des autorités françaises, qui ont eu recours à la force, laissant derrière elles un sillage de souffrances, avec « plus de 500 disparitions forcées ». Ils expriment également leur profonde inquiétude face à la montée en puissance, de milices anti-indépendantistes, lourdement armées, et critiquent l’inaction des autorités pour démanteler ces groupes.
Le déploiement de 4 000 hommes venus de France n’a pas permis de débloquer les barrages érigés par les indépendantistes sur les axes routiers principaux et par les loyalistes qui protègent leurs rues résidentielles. Si tous les dirigeants appellent à la paix, les leaders indépendantistes souhaitent également le retrait de la réforme du droit de vote en cours à Paris, interrompue par la convocation par le président français Emmanuel Macron d’élections législatives nationales le 9 juin.
Dans un contexte déjà chaotique, il est crucial de rappeler que les violations des droits fondamentaux ne s’arrêtent pas là. Des ONG ont également dénoncé l’emprisonnement en Métropole, à des milliers de kilomètres loin de leurs terres natales, des détenus politiques Kanaks. Cette situation constitue selon les organisations de défense des droits de l’Homme, une grave violation du droit international.
Les experts de l’ONU appellent la France à respecter « le principe d’irréversibilité de l’accord de Nouméa », insistant sur le fait que les accords conclus doivent être « constitutionnellement garantis jusqu’à ce que la Nouvelle-Calédonie atteigne la pleine souveraineté ». Ils se déclarent prêts à « fournir les recommandations nécessaires » aux autorités françaises pour garantir l’État de droit.
Il est également essentiel de souligner qu’une réforme constitutionnelle de 2007 a gelé les listes électorales pour les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie à leur état de 1998, empêchant toute révision annuelle en fonction des mouvements de population. En janvier, le gouvernement a proposé un projet de loi constitutionnelle pour dégeler le corps électoral à partir du 1er juillet 2024, intégrant les citoyens nés sur place ou y résidant depuis au moins dix ans. Cette réforme, suspendue en juillet par le Président Emmanuel Macron, suscite une vive opposition parmi les indépendantistes, qui craignent qu’elle ne dilue leur pouvoir électoral et réduise leur influence.
La France a organisé le troisième référendum controversé sur l’indépendance en 2021, malgré les objections des autochtones, puis a approuvé le résultat pro-français, malgré un boycott massif des autochtones. Et malgré l’impasse politique qui en a résulté , les partis indépendantistes ayant rejeté le résultat, la France a tenté sans succès de convoquer la phase finale de discussion de l’accord de Nouméa, certains éléments indépendantistes ayant refusé d’y participer.