Par Ahmed Halfaoui
…et derrière ces vitres
ces pâtés ces bouteilles ces conserves
poissons morts protégés par les boîtes
boîtes protégées par les vitres
vitres protégées par les flics
flics protégés par la crainte
que de barricades pour six malheureuses sardines. Jacques Prévert (extrait Démocratie et violence économique)
L’inégalité économique est, déjà, en soi une violence, absorbée par le contrat social, et refoulée grâce à la religion, au fatalisme ou à la résignation des exclus du pouvoir de l’argent. Cela n’empêche pas que la propriété privée sacralisée soit protégée par un arsenal de lois et par la force armée, car tous les individus ne sont pas également soumis à la morale dominante où à l’autorité.
On trouve au premier niveau, de la contestation de l’ordre social, la délinquance ordinaire, mode d’appropriation des biens inaccessibles par la voie légale (affairisme, travail salarié, revenu rentier…).
Au dernier niveau se manifeste la remise en cause des fondements de la société, par les projets révolutionnaires. Mais, en général, sur de longues périodes la paix sociale est maintenue par des mécanismes de régulation, qui permettent d’éviter les points de rupture et les conflits majeurs, par des réponses financières où matérielles aux revendications des moins riches ou des plus pauvres.
Cependant la crise économique qui affecte le système mondial de production et de distribution capitaliste, des biens et des services, commence de révéler que le contrat social accepté de tous peut s’avérer inopérant.
Il en est ainsi de la démocratie, règle essentielle du jeu des formations sociales occidentales, qui connaît ses premières attaques, de la part des représentants de la « souveraineté populaire », sous couvert de « plans de rigueur » et autres mesures en faveur du sauvetage des banques et des grandes entreprises.
Elus par les peuples, les pouvoirs se mettent ouvertement au service de la finance mondialisée. On a vu, à titre d’illustration, l’Union européenne menacer les électeurs grecs sur un éventuel vote hostile à l’austérité.
Ce sera, d’ailleurs, cette affaire qui va lancer un débat sur la nature du vrai pouvoir. Roland Gori, psychanalyste, professeur de psychologie à l’université d’Aix-en-Provence, par exemple, découvre que « le politique se trouve aujourd’hui « colonisé » par les valeurs du marché. Au nom d’une idéologie, celle de la « raison économique » comme seule et unique manière de penser le monde, la nature et l’humain, le pouvoir installe de nouveaux dispositifs ». Des dispositifs qui, dit-il, « confisquent la capacité des citoyens à juger et à décider ce qui est bon pour eux ».
Mais Gori procède plus du constat, que de l’autopsie du système, ce qui le fait s’en tenir aux apparences et de ce fait ignorer la question de savoir comment cela puisse être que soit confisquée la capacité des citoyens. Et, surtout, comment, comme il le dit, « la démocratie fondée sur les principes d’égalité et de liberté politiques des citoyens tend à être à l’heure actuelle remplacée par une « expertise » bafouant la souveraineté populaire ».
Le fait est que cette « souveraineté » n’était respectée que selon certains critères, celui où elle ne met pas en danger les « valeurs du marché », selon leur perception par le pouvoir de cette « expertise », qui juge aujourd’hui que la démocratie est un jeu risqué. Le pouvoir en capitalisme ayant pour mode d’adaptation de changer de forme en fonction des exigences historiques.
Ce qui permet d’affirmer que si la crise dure ou s’approfondit, la démocratie sera mise au placard, pour des jours meilleurs, et des gouvernements autoritaires verront le jour pour protéger, par la violence, les profits et la survie des banques et des entreprises.
A-H