Par | Heeba Nawel
Alger | « Dar El Bachtarzi« , ce haut lieu de raffinement culturel chargé d’histoire, a rouvert ses portes à Alger, après une longue période de silence forcé. Ce lieu emblématique, qui servit de cadre aux répétitions de célèbre musiciens et hommes de théâtre algérien Mahieddine Bachtarzi et d’El Hadj M’Hamed El Anka depuis les années 1920, a célébré sa réouverture vendredi dernier avec un concert inaugural envoûtant, animé par le talentueux chanteur andalou Mahmoud Hadj Ali.
Sous l’égide de l’Établissement Arts et Culture de la Wilaya d’Alger, « Dar El Bachtarzi » aspire à devenir un véritable carrefour artistique, niché au sein d’un immeuble historique entièrement restauré par la Wilaya d’Alger, situé rue des frères Ouslimani, au cœur de la mythique basse Casbah d’Alger, juste à côté de la façade latérale de la majestueuse Mosquée Ketchaoua.
« La réouverture de ce repère historique s’inscrit dans le cadre des efforts déployés par la Wilaya d’Alger pour réhabiliter et valoriser l’héritage culturel et civilisationnel de notre capitale, notamment la Casbah, véritable cité millénaire », explique Fodhil Hammouch, responsable de la programmation à l’établissement de tutelle.
Ce lieu mythique accueillera également, dans ses deux étages supérieurs sous la tutelle de la Chambre de l’Artisanat et des Métiers d’Alger, divers artisans et exposants de l’industrie traditionnelle, mettant ainsi en lumière le savoir-faire ancestral.
Dans la salle, une vingtaine de plateaux en cuivre sculpté, ornés de sièges rembourrés drapés de soie rouge, s’étendent sur une surface rectangulaire, tandis que des cloisons latérales en arcades de pierres de taille s’élèvent majestueusement, culminant au pied d’une petite scène en demi-cercle. Cet agencement restitue avec brio l’atmosphère d’antan, évoquant le glorieux passé de nos cheikhs.
Pour redonner vie à cet espace mythique, Mahmoud Hadj Ali, également chef d’orchestre de l’Ensemble El Mossiliya, a envoûté l’auditoire pendant une heure et demie, accompagné de musiciens de talent : Krimou Meghzifène au banjo, Hichem Hassani au violon alto, Krimou Chikhi au oud, Sofiane Haddad à la derbouka, et Fouad Tebib au tar. Ensemble, ils ont interprété la » nouba Sika » ainsi que quelques classiques du genre Hawzi, faisant vibrer les cœurs avec des pièces telles que « Ya sahib el wadjh el djamil« , « Hibbi elladhi rani naâchaqou« , et « Lemta yahna qalbi« .
À l’issue de cette cérémonie d’ouverture, dédiée à ce « Café-concert » que la Wilaya d’Alger a restitué à la culture algérienne, Mahieddine Bachtarzi, figure emblématique, fut au centre des discussions. Son parcours atypique et exceptionnel, riche d’histoires et d’émotions, continue d’inspirer les générations.
Natif de la Casbah d’Alger, Mahieddine Bachtarzi (1897-1986) a embrassé, dès les années 1920, des carrières variées, toutes motivées par un désir ardent de sensibiliser ses compatriotes à leur condition sociale, un impératif qui appelait à une prise de conscience collective pour défendre l’identité du joug du colonialisme français.
D’abord muezzin, puis chanteur andalou, il a enregistré à seulement 24 ans 60 disques, ce qui l’a conduit à se produire dans de nombreux concerts à Alger, avant de partir en tournée internationale. En 1923, il prend la direction de la Société musicale « El Moutribia« , un bastion de formation et de préservation du patrimoine musical andalou.
Intellectuel éclairé, il réalise les limites de la musique comme moyen de communication dans le contexte colonial, ce qui l’amène, durant les années 1930, à explorer le 4e Art aux côtés d’Allalou (Ali Sellali) et de Rachid Ksentini.
En 1947, il assure, avec Mustapha Kateb, des représentations théâtrales hebdomadaires à l’Opéra d’Alger (actuel TNA), intégrant de nombreux jeunes talents, dont plusieurs rejoindront par la suite la troupe artistique du Front de Libération Nationale (FLN), faisant briller le théâtre et le cinéma algériens après l’indépendance.
Artisan de nombreuses carrières artistiques fulgurantes, Mahieddine Bachtarzi a été, dans le sens le plus large, « un véritable chef d’orchestre » d’une scène culturelle alors naissante, aujourd’hui épanouie et reconnue.