Par Ahmed Zakaria
L’événement est passé assez inaperçu. Il est pourtant d’une grande importance, et constitue un lourd désaveu du camp occidental : la Cour pénale internationale (CPI) a acquitté l’ancien chef d’Etat ivoirien, Laurent Gbagbo, ainsi qu’un de ses proches. Les deux hommes étaient accusés de « crimes contre l’humanité ». Cette victoire est d’une importance capitale que les ivoiriens attendent. C’est un véritable désaveu à son rival l’actuel président Ouattara, placé au Palais présidentiel à Abidjan à coup de missiles de Washington et ses alliés européens.
L’information est passée quasi inaperçue ou pratiquement noyées par des médias fossoyeurs qui ont passé des années à l’accabler, pourtant les juges du TPI avait publié, depuis le 16 juillet dernier les détails de leur jugement motivé. Le jugement sonne comme une véritable condamnation contre ceux qui ont monté cette cabale qui a duré 8 longues années. Selon les juges, le procureur s’est basé sur «un récit manichéen et simpliste». Le président de la Chambre, l’Italien Cuno Tarfusser, s’est lavé les mains : «Un procès n’est pas fait pour juger l’Histoire d’un pays » a-t-il indiqué en ajoutant qu’il n’avait «nullement le droit de prendre position sur la responsabilité morale ou politique» des accusés.
En effet, Dans les mille pages d’attendus, on peut lire que « rien ne permet de penser que Laurent Gbagbo aurait refusé de se retirer parce que son plan était de rester au pouvoir à tout prix ». Ce qui était précisément la thèse autour de laquelle s’est organisée l’intense propagande déployée à l’époque par les médias dominants, en France en particulier.
Pour rappel Laurent Gbagbo, un président sur lequel les ivoiriens ont mis sur lui beaucoup d’espoir avait fait objet d’une violente cabale. Tout a commencé suite au second tour de ce scrutin de 2010. Le Conseil constitutionnel de la Côte d’Ivoire avait déclaré Gbagbo gagnant au grand dam de son rival, soutenu par les grandes puissances Alassane Ouattara. Ce dernier s’est a son tour, proclamé élu, s’appuyant sur les décomptes d’une Commission électorale indépendante conçue à cet effet. C’était donc, la parole de cette commission contre celle du Conseil constitutionnel.
Gbagbo a tenu tête en repoussant toute sortes d’attaques et d’ingérence, jusqu’à 2011, quand Paris de Sarkozy, Londres, Bruxelles et Washington perdent patience et décident d’user des gros moyens.
L’autoproclamée « communauté internationale» accuse donc, Gbagbo de fraudes. Américains et européens ont commencé par proférer des menaces de sanctions contre le pays si le président sortant, ne quittait pas le palais présidentiel. Puis, inconsolable par sa «sanglante victoire» contre Kaddafi en 2011, Sarkozy et les britanniques, soutenus par les USA passent à l’acte. Une soit disant mutinerie au sein de l’armée pour des raisons «syndicales» (versement de salaires), puis conflit armée suivi par tout un dispositif rodé, qui l’accompagne. Envoyés spéciaux installation de camps pour réfugiés avant même que les ivoiriens ne songent à quitter leurs foyers.
Il faut dire qu’en Côte d’Ivoire, la préférence occidentale va de soi. D’un côté, Laurent Gbagbo, le socialiste un peu trop nationaliste aux yeux du «monde libre». De l’autre Alassane Ouattara, un pur produit de l’université américaine de Pennsylvanie, fonctionnaire au Fonds monétaire international (FMI) qu’il a intégré en 1968. En novembre 1984, il prend la direction du département Afrique de cette institution. Accessoirement, il épouse une riche femme d’affaires peu après : la cérémonie a lieu à Paris, avec, parmi les amis, Martin Bouygues, un des plus puissants oligarques français (bâtiment et télécommunications).
En mars 2011, les combats s’intensifient entre les deux camps. Discrètement soutenues par les forces occidentales, les pro-Ouattara, prennent la capitale administrative, Yamoussoukro.
Et le 11 avril, ils assiègent et font prisonnier Laurent Gbagbo et ses proches. Sous couvert de l’ONU, les troupes françaises leur prêtent une aide discrète mais décisive, selon de nombreux témoignages.
Peu de temps après le Président Laurent Gbagbo est transféré à prison internationale de La Haye dans l’attente du procès que prépare la CPI. Ce procès dure huit ans.
Au contraire, notent les juges, les forces loyalistes étaient confrontées à « une guérilla urbaine », et étaient en position défensive. Le texte du jugement souligne en outre la non-neutralité des forces onusiennes (dont le mandat n’était pourtant pas de prendre parti), et évoque même la présence de tanks français tirant sur les soldats restés fidèles au président. La crise postélectorale 2010/2011 a coûté la vie d’au moins 3000 morts et des milliers de blessés et déplacés.
La CPI avait été créée en 2002 pour légitimer le «droit d’ingérence», concept dont le but réel est de subordonner la souveraineté des Etats au bon vouloir de ladite « communauté internationale », c’est-à-dire des élites mondialisées.
Impatiente, Abidjan attend son héro
Le 29 juillet, à Bruxelles, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo ont échangé «pour le retour d’une paix définitive et durable» en Côte d’Ivoire. Une rencontre entre les deux anciens Présidents ivoiriens qui laisse présager, selon certains observateurs, une alliance contre Alassane Ouattara à la présidentielle de 2020.
Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo ne s’étaient plus rencontrés depuis le… 10 mai 2010! On comprend mieux dans ces conditions l’émoi qu’ont suscité leurs retrouvailles, lundi 29 juillet, à Bruxelles, à la résidence qu’occupe Laurent Gbagbo depuis sa mise en liberté conditionnelle par la Cour Pénale internationale (CPI). Déjà, à l’époque, leurs échanges avaient porté sur le processus électoral en Côte d’Ivoire et la présidentielle à venir. Entre temps, il y a eu la crise postélectorale de 2010-2011 qui a fait plus de 3.000 morts.
Cette alliance n’est pas si évidente. Elle constitue toutefois une belle occasion pour le retour de Laurent Gbagbo qui depuis son arrestation et le bilan catastrophique de Ouattara n’ont fait que croître sa popularité auprès de la population ivoirienne.
Depuis la fin de la crise post-électorale, le Front Populaire Ivoirien (FPI) fondé par Laurent Gbagbo (74 ans, Président de la Côte d’Ivoire entre 2000 et 2011) et le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) présidé par Henri Konan Bédié (85 ans, 1993-1999) étaient en froid.
Au second tour de la présidentielle de 2010, Henri Konan Bédié avait appelé ses militants à voter Alassane Ouattara. Il avait par la suite lancé un appel similaire à la présidentielle de 2015. Une élection boycottée alors, par le FPI
Mais, depuis quelques mois, les deux partis se sont beaucoup rapprochés. En mai, de retour de Bruxelles où il avait rencontré Laurent Gbagbo et préparé la venue de son président, Maurice Kakou Guikahué, le numéro 2 du PDCI, s’était réjoui d’annoncer la «fin des palabres» avec le FPI.
A moins d’un nouveau scénario justifiant une autre ingérence, Alassane Ouattara aura beaucoup de mal à convaincre les ivoiriens de le réélire pour la troisième fois. Il a laissé un pays écroulé par la dette.
La dette extérieur du pays a en effet, atteint 11,3 milliards en 2016 selon la Banque mondiale. Représentant le tiers du PIB ivoirien, l’endettement plombe la capacité de l’État ivoirien à investir dans les secteurs luttant contre la pauvreté (éducation, santé, eau, assainissement, agriculture).
Si Gbagbo sera réélu en 2020 il trouvera un pays et une économie, dépendants essentiellement des capitaux étrangers et de marchés internationaux comme de conjonctures qu’elle ne contrôle pas (cacao). Classée au 171ème rang de l’Indice de développement humain (IDH) en 2015, la Côte d’Ivoire reste profondément inégalitaire, comme en témoigne l’indice de Gini qui évalue l’inégalité des revenus : avec un indice de 41,5 en 2015 (0 étant l’égalité parfaite), elle se retrouve peu ou prou au même stade qu’en 2002 (41,3). Tout ça Pour ça !