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Algérie: La supercherie politico-médiatique contre le peuple

Par Samia Zennadi

Archéologue de formation et cofondatrice de la maison d’édition Apic. Mme Samia Zennadi est auteure d’un livre sur l’art du tapis en Algérie. Son engagement l’a placée comme une actrice incontournable dans le champs culturel Algérien et Africains.  Depuis quelques années elle se distingue par ses analyses perspicaces à travers lesquels elle ne cesse de défendre l’outil culturel comme l’élément essentiel pour tout changement social. Elle a initié une revue littéraire L’Afrique parle livres.

Depuis le 22 février dernier, les récits médiatiques des manifestations populaires en Algérie, relayés par des correspondants ravis d’être à Alger plutôt qu’à Paris pour couvrir celles des Gilets Jaunes, témoignent de la mobilisation historique des algériens et de son caractère pacifique, créatif, festif et solidaire. Les Algériens se saisissent de la rue pour une mise en espace de leur parole confisquée.

« Son excellence le peuple » se libère des brouillages et des maillages de la démocratie bourgeoise dans un processus de reconquête de sa souveraineté et de celle de son Etat. L’image de l’Algérie renvoyée au monde rappelle une description du peuple algérien donnée par Frantz Fanon. « Cette lutte à des niveaux différents renouvelle les symboles, les mythes, les croyances, l’émotivité du peuple. Nous assistons en Algérie à une remise en marche de l’homme ».

Exprimant au départ leur refus au cinquième mandat de Abdelaziz Bouteflika, des millions d’Algériens continuent à rejeter toutes les propositions qui permettraient le sauvetage d’un système de gouvernance qui a cautionné un malade en soin palliatifs à qui on prétendait non seulement la volonté de se présenter pour un cinquième mandat mais aussi sa pleine capacité à gérer l’Algérie. Le peuple dénonce la supercherie politico-médiatique qui planifie la reconduite d’un président en fin de vie, ne s’adressant à son peuple que par de longues missives lues en son nom par des présentateurs de JT ou même par des ministres qui s’évertuaient à prendre le ton solennel proportionnel à la gravité de la mascarade.

« Pas une minute de plus Bouteflika », scandent les manifestants.

L’Etat algérien, de plus en plus éloigné de son caractère national et républicain, se confond avec un système monarchique, archaïque et méprisant. Un fonctionnement parallèle a remplacé la légalité institutionnelle et le palais présidentiel est entre les mains d’une bande de malfaiteurs, à leur tête Said Bouteflika, le frère du président. Une mafia, « La Casa d’El Mouradia » baptisée ainsi par les supporters de football du club algérois l’USMA.

« L’Algérie est une république et non une monarchie », scandent les manifestants.

Les institutions officielles ne se sont plus que des clubs de larbins soutenus par une caste d’oligarques qui ne doit son ascension qu’aux puissants réseaux de l’ex-DRS (Département du Renseignement et de la Sécurité) ou par une proximité infecte avec le clan des Bouteflika. Cette caste est liée à des lobbies politico-économiques invités à prendre part aux partages des richesses et des territoires avec la garantie de la mise à mort de toute forme d’opposition.

 « Vous avez ruiné le pays, voleurs !  », scandent les manifestants.

Même quand la contestation populaire dans le sud du pays, le mouvement anti gaz de schiste, avait gagné une bataille en 2015, après plus de trois années de lutte et de mobilisation exemplaires et malgré l’acharnement des experts charlatans émissaires qui s’étaient relayés sur les plateaux de radios et de télévisions pour tenter de vendre ce «projet sauveur», la conscience citoyenne des Algériens a eu raison de leur vision rentière. Mais la victoire du mouvement anti-gaz de Schiste fut de courte durée.

« Khawa, khawa » très scandé au début du mouvement populaire

  « Pas de cinquième mandant, enfants de la France », scandent les manifestants.

L’amélioration du « climat des affaires » est la priorité pour satisfaire les appétits des pseudos investisseurs nationaux et étrangers. Les amendements au Code du travail, l’avant-projet de loi sur la santé, la nouvelle loi des hydrocarbures, la réforme des universités, tous sont présentés comme conformes au « nouvel ordre économique mondial ». Sur fond de scandales, de corruption, de dilapidation de l’argent public, de trafic d’influence, d’abus de pouvoir, les couches les plus vulnérables voient leur pouvoir d’achat se réduire et les opportunités de travail s’amenuisent. Les emplois précaires grossissent le rang de l’économie informelle et le fléau de l’immigration clandestine prend de l’ampleur, et prend des vies. La misère s’accroit et des maladies d’un autre âge, éradiquées de la surface de la planète, la peste et le choléra tuent en Algérie sans qu’il y ait une démission ou révocation de ministres ou de responsables des secteurs concernés par la santé publique.

« L’Algérie pauvre a contracté le choléra », oui en 2018, rappellent les chants des manifestants. Tans pis, si Frantz Fanon avait averti qu’un gouvernement national, s’il veut être national, doit gouverner par le peuple et pour le peuple, pour les déshérités et par les déshérités. Aucun leader quelle que soit sa valeur ne peut se substituer à la volonté populaire et le gouvernement national doit, avant de se préoccuper de prestige international, redonner dignité à chaque citoyen, meubler les cerveaux, emplir les yeux de choses humaines, développer un panorama humain parce qu’habité par des hommes conscients et souverains.

L’Algérie pauvre ne perd pas de vue que la perte de la souveraineté économique implique la perte de la souveraineté militaire. Ça va de paire. En janvier 2013 l’attaque du site gazier de Tiguentourine (1.300 km au sud-est d’Alger) avait fait les gros titres de la presse internationale et avait enclenché de nombreux débats sur la capacité de l’Algérie à protéger les expatriés. Une offensive médiatique et diplomatique s’était déchaînée pour mettre l’armée algérienne sous tutelle. Mais l’Algérie n’avait de leçon à recevoir de personne. Quand elle faisait la guerre au terrorisme, des capitales occidentales offraient l’asile à des criminels de guerre et elles se sont transformées en tribunes politiques et médiatiques desquelles des chefs terroristes revendiquaient des attentats d’une extrême violence. Le 29 novembre 1991, en suivant une longue évolution depuis les laboratoires de la CIA, un groupe d’islamistes attaque une caserne de l’armée nationale à Guemar, (wilaya d’El Oued). Huit jeunes soldats sont tués et leurs corps mutilés. Nonobstant les chantres du révisionnisme et du « Qui tue qui », c’est cet acte terroriste, et non l’arrêt du processus électoral, du 11 janvier 1992, qui marque le début de la décennie noire.

Pourtant, dans sa campagne électorale du premier mandat, Bouteflika promettait « Le retour à la prospérité » et « Le retour à la paix ». En 1998, plongé dans les turbulences de l’infitah « l’ouverture libérale » et les affres du terrorisme, le peuple algérien aurait dû demander « Pour qui ? ».

Les derniers souvenirs qu’avaient les algériens de Bouteflika remontaient à 1978. Le président Houari Boumediene venait de s’éteindre. Parmi les prétendants à sa succession, Abdelaziz Bouteflika avait fait valoir son statut de «proche du Président». Même si la mission de prononcer le discours d’adieu au Président Boumediene lui était confiée, la Sécurité Militaire intervient pour écarter la candidature de l’homme qui incarnait l’aile droite du Conseil de la révolution et qui était porté par Washington et ses alliés. Dans un contexte géopolitique marqué par la guerre froide, le bloc de l’Ouest comptait sur la réédition du scénario égyptien qui a vu l’arrivée d’Anouar El Sadate au pouvoir après le décès de Nasser. L’armée algérienne en avait décidé autrement. Un lourd dossier d’escroquerie entachait le parcours de Bouteflika. Accusé par la Cour des comptes en 1983 pour des détournements de reliquats budgétaires des ambassades algériennes, son passeport diplomatique lui fut retiré et son traitement de haut fonctionnaire suspendu. Bouteflika avait échappé à la condamnation grâce à l’intervention de Chadli Bendjedid, alors que trois de ses collaborateurs ont passé quatre années de prison à El Harrach.

Mais la supercherie politico-médiatique, rodée à la retouche de l’image et de l’histoire, a réussi à faire de sa « traversée des déserts » (1978-1998), une longue errance. Bouteflika, une victime de l’armée qui l’a éloigné du pouvoir, alors qu’il était destiné à succéder au très charismatique Boumediene.

Nous sommes à mille lieues de l’Algérie révolutionnaire, de la justice sociale et du développement autocentré. Celle de la réforme agraire et de l’émancipation des femmes et des hommes. Celle des non-alignés et de la nationalisation des mines et des hydrocarbures…L’Algérie officielle de Bouteflika a fait allégeance aux officines de l’impérialisme américain et français ; FMI, Banque Mondiale, et autres agents et programmes d’ingérence. Elle a définitivement tourné le dos à son peuple et à son histoire. Elle a marqué son alignement contre les acquis de l’indépendance. Elle a comploté contre la souveraineté du peuple algérien et elle est encerclée par les guerres durables léguées par les interventions impérialistes dans leurs voisinages immédiats

 « Le peuple est éveillé, l’Etat est traitre », continuent de scander les manifestants.

Le 02 avril 2019, malgré toutes les tractations pour une sortie honorable, Bouteflika démissionne. Après six semaines de manifestations gigantesques, destitué par « son excellence le peuple ».

Il ne demeure pas moins que le lendemain de sa démission, une lettre de l’Ex-président en soin palliatifs, est adressée au peuple dans laquelle il leur demande pardon : « Je vous demande pardon en tant qu’être humain, qui n’est pas dépourvu de faire des erreurs, pour toute négligence que j’aurais pu commettre à votre encontre, que ce soit une parole ou un acte ».

La lecture de la lettre est suivie par la diffusion d’un reportage « Bouteflika, l’homme symbole », probablement réalisé dans l’urgence mais néanmoins conforme aux normes de la supercherie politico-médiatique. Une mise en scène d’un symbole de l’Algérie révolutionnaire des années 70, celle qui a fait dire à Amílcar Cabral, « Les chrétiens vont au Vatican, les musulmans à la Mecque et les révolutionnaires à Alger ». Abdelaziz Bouteflika, le plus jeune ministre des Affaires étrangères au monde et porte-parole du mouvement des non-alignés, celui qui a réussi à faire expulser l’Afrique du Sud, pays de l’apartheid, des instances onusiennes. Cet exploit n’était pas dans le reportage, tout comme sa longue traversée des déserts et la mise sous tutelle du pays. Il manque aussi l’aveu qu’ils ont affaire à un peuple très grand qui les met face à leur petitesse.

Les manifestants exigent des comptes et la restitution des biens pillés

La justice, complice et partenaire du hold-up institutionnel et financier depuis deux décennies, enchaîne les enquêtes sur des soupçons de corruption qui pèsent sur des hommes, longtemps considérés comme intouchables. Des symboles forts du pillage organisé, les richissimes, Haddad, l’ex-patron des patrons algériens, les frères Kouninef et Rebrab (troisième fortune d’Afrique), furent interpellés par la gendarmerie comme de vulgaires délinquants. Les généraux major Bey et Chentouf sont mis sous mandat de dépôt. Le bloc des corrompus-corrupteurs se fissure, l’ancien premier ministre, le tristement célèbre Ahmed Ouyahia, ainsi l’ex-gouverneur de la Banque d’Algérie et actuel ministre des finances, ont été convoqués par les juges au sujet de l’usage injustifié et frauduleux du financement non-conventionnel. Un mystère de 55 milliards de dollars US non injectés dans le circuit financier, détournés vers d’autres destinations.

L’ancien patron de la police, le général-major Abdelghani Hamel, a été entendu par la justice en tant que témoin dans l’affaire de Kamel Chikhi, plus connue par l’affaire El Bouchi. Une saisie de 701 kg de cocaïne au port d’Oran découverts dissimulés dans un container de viande congelée en provenance d’Espagne, nous a valu le déplacement d’agents d’organismes américains de la Drug Enforcement Administration (DEA) et de la CIA pour coopération dans cette affaire de coke, sans qu’ils soient invités.

« La Casa d’El Mouradia », qui dés le 11 mars, a placé à la tête de l’exécutif son nouveau chef de file Noureddine Bedoui qui assurait les missions de ministère de l’Intérieur, est officiellement désignée par « bande de malfaiteurs ».

Le «puissant» frère-conseiller de l’Ex-Président, Saïd Bouteflika, et les généraux et anciens patrons des services de renseignement, Mohamed Mediène, dit Toufik, et Bachir Tartag, ont été interpellés le 05 mai par les services de sécurité. Poursuivis pour « atteinte à l’autorité de l’armée et complot contre l’autorité de l’État », ils seront jugés par un tribunal militaire. Même Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT), a été placée le 09 mai en «détention provisoire» par le tribunal militaire de Blida dans une prison civile de cette wilaya.

Deux décennies de règne de Bouteflika ont vidé les institutions de l’Etat de toute crédibilité et ont fragilisé le pays. La nouvelle constitution, taillée sur mesure pour un cinquième mandat, avec ou sans Bouteflika, pose beaucoup de problèmes. Le fait que l’armée soit la première institution à avoir rejoint les revendications des manifestants pour la destitution du président en appelant à l’application de l’article 102 et encourage la justice à accélérer les enquêtes sur la corruption et la dilapidation des biens publics, pose d’autres problèmes. Le rendez-vous des élections présidentielles fixé au 04 juillet par Abdelkader Bensallah, le chef d’Etat alors qu’il fait partie des figures contestées par le Hirak depuis des semaines semblent voué à l’échec.

Par millions, les algériens continuent à investir les rues, tous les vendredis et tous les jours de la semaine. Les étudiants et les travailleurs de tous les secteurs, y compris celui des hydrocarbures, s’organisent et les grèves s’enchainent. La voix de la contestation, la jeunesse majoritairement présente dans ce mouvement, a brandit dés le départ son refus de toute ingérence étrangère, qu’elle soit visible ou invisible. « Ce qui se passe en Algérie ne concerne que les algériens ». Un slogan présent dans toutes les marches avec beaucoup de déclinaisons et avec une touche humoristique constamment renouvelée. La France, les USA, l’Arabie Saoudite, les Emirats-Arabes-Unis, le Qatar, la Turquie, et même la Suisse, tous ces pays, les rois, les présidents et même les hôpitaux ont eu droit chacun à une mention spéciale clairement exprimée.

Clairement exprimées, étaient aussi les mentions anti-impérialiste et antisioniste. L’Algérie est en guerre contre les forces impérialistes et leurs valets comploteurs qui n’ont pas réussi à réduire à néant la capacité de résistance du peuple algérien. Peu importe le nombre d’accointance que peuvent avoir les Etats avec l’impérialisme, avertissait Samir Amin à partir d’Alger en 2013, l’impérialisme cherchera toujours à détruire les signes et les symboles de résistance dans les sociétés. Il peut contrôler les Etats mais pas les peuples.

 Source :bouhamidimohamed.over-blog.com

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