Par Ahmed Zakaria
Beaucoup d’observateurs estiment que la nouvelle loi constitue un véritable coup de pied dans la fourmilière de la mafia politico-financière et fera trembler plus d’un.
Non seulement elle abroge tous les obstacles permettant une action judiciaire pour des crimes économiques mais elle ouvrira la voie à la police judiciaires relevant de la sécurité militaire d’enquêter dans les affaires liés à « l’intelligence économique », lorsqu’il s’agit de corruption touchant les secteurs névralgique du pays et qui portent atteinte à la sûreté de l’Etat.
Le projet de loi amendant le Code de procédure pénale visait « la préservation des deniers publics », à travers la facilitation de la mise en mouvement de l’action publique et « l’annulation des contraintes qui faisaient obstacles à la Police judiciaire lors de l’accomplissement de ses missions ».
Cet amendement du Code de procédure pénale avait pour but de « consolider et renforcer le cadre juridique de lutte contre la criminalité, à travers l’abrogation des dispositions à effet négatif sur la mise en mouvement de l’action publique et son exercice par le ministère public d’une part, et celles faisant obstacles à la Police judiciaire lors de l’accomplissement de ses missions, d’autre part ». a indiqué le Ministre dans son exposé.
Pour ce faire, le projet de loi propose l’abrogation des articles 6 bis, 15 bis, 15 bis 1 et 15 bis 2 du Code de procédure pénale relatifs aux conditions de mise en mouvement de l’action publique pour les crimes en lien avec les deniers publics, ainsi que les attributions et missions des officiers de la Police judiciaire relevant des services militaires de sécurité.
Le texte propose également l’amendement de l’article 207 relatif au contrôle par la chambre d’accusation de l’activité des officiers de Police judiciaire, notamment par la révision des mesures mise en place en vertu de la loi de mars 2017 portant habilitation des officiers de Police judiciaire à l’exercice effectif des attributions liées à cette qualité.
Mise en mouvement de l’action publique pour les crimes en lien avec les deniers publics
Les mesures prévues par le Code de procédure pénale de juillet 2015 ont vu l’introduction de la condition de la plainte préalable des organes sociaux de l’entreprise économique pour la mise en mouvement de l’action publique à l’encontre des dirigeants des entreprises économiques dont l’Etat détient la totalité des capitaux ou à capitaux mixtes, pour des faits de gestion entrainant le vol, le détournement, la dégradation ou la perte de deniers publics ou privés.
Pour M. Zeghmati, le texte dudit article qui se voulait une sorte de protection des dirigeants des entreprises économiques, tenus à l’abri des poursuites judiciaires qui pourraient être infondées au regard de la nature de leur travail, avait des répercussions « très négatives » sur la mise en mouvement de l’action publique pour les crimes en lien avec l’argent public.
Ces dispositions, ajoute le ministre, constituent un « obstacle » qui entrave l’activité des juridictions, en général, et du ministère public, en particulier, en raison de la position et des agissements des représentants des organes sociaux des entreprises, lesquels « s’abstiennent de porter plainte » contre les auteurs d’actes criminels, arguant de l’absence de la qualification pénale des actes objet d’enquête, qu’ils estiment, de bonne foi ou sciemment, être de simples « erreurs de gestion qui ne s’apparentent pas à des crimes », alors que cela relève des prérogatives exclusives du juge.
Cette position étant répandue chez les représentants de ces entreprises, les dispositions incluses dans l’article 6 bis constituent « une véritable entrave juridique qui se répercute négativement sur le rendement du ministère public et de la Police judiciaire et réduit leur efficacité dans le domaine de la lutte contre le crime économique », a ajouté le ministre, estimant que l’abrogation de cet article et le retour aux règles et principes juridiques consacrés en matière d’enquêtes et de poursuites « est à même de renforcer la protection des deniers publics et la lutte contre les crimes financiers ».
D’ailleurs, c’est cet ancien dispositif juridique qui avait permis le bradage des richesses nationales algérienne durant des décennies, qui est anéanti. Les Affaires de Khalifa, les contrats de Sonatrach, le bradage de la compagnie maritime Cnan, et la casse en règle des sociétés publiques qui assuraient la production et la gestion des produits alimentaires stratégiques au profit des barrons, n’ont jamais pu être élucidées. Grave encore, les cadres intègres qui ont tenté de résister à ce système ont tous été incarcérés, à l’instar du PDG du Complexe sidérurgique El Hadjar. D’autres ont périt en prison alors que d’autres ont été poussés à l’exile.
Élargissement des attributions et missions des officiers de Police judiciaire relevant des services militaires de sécurité et contrôle de leur activité
L’article 15 bis du Code de procédure pénale, introduit en mars 2017, a limité les missions de la police judiciaire des officiers et sous-officiers relevant des services militaires de sécurité aux crimes d’atteinte à la sûreté de l’Etat prévus dans le Code pénal, ce qui a réduit le rôle de cet organe dans les recherche et investigations relatives aux crimes.
La pratique sur le terrain a montré que la limitation des missions de ce service à certains crimes « a impacté négativement sur le déroulement » des investigations et des enquêtes dans des affaires de droit commun, notamment les affaires de corruption et d’atteinte à l’économie nationale, dont les crimes transfrontaliers.
Partant de ce constat, le ministre a jugé impératif d‘ »élargir le domaine de compétence » dans ce corps de police judiciaire pour englober tous les crimes prévus dans la législation pénale.
Quant au contrôle de l’activité des officiers de police judiciaire relevant des services militaires de sécurité, le projet de loi propose l’amendement de l’article 207 relatif au contrôle de l’activité des officiers de police judiciaire, confié à la chambre d’accusation qui est saisie par le procureur général concernant les manquements relevés à la charge de ces officiers de police judiciaire dans l’exercice de leurs missions.
Compte tenu de la qualité de militaire dont jouissent les officiers de Police judiciaire relevant de la Gendarmerie nationale et des services militaires de sécurité, le Procureur général territorialement compétent se charge d’informer le Procureur général militaire sur le cas de saisine, si l’officier de police judiciaire concerné relève du corps de la Gendarmerie nationale.
S’il s’agit d’un officier de Police judiciaire relevant des services militaires de sécurité, le Procureur général près la Cour d’Alger engage les procédures de saisine de la chambre d’accusation de ladite cour, seule habilitée à trancher ce type de manquements, et ce après consultation du Procureur général militaire territorialement compétent, lequel doit émettre son avis dans un délai n’excédant pas 15 jours.
Proposition d’abrogation de la condition d’habilitation des officiers de Police judiciaire à l’exercice effectif des attributions liées à cette qualité
Ledit projet de loi présenté devant la Commission juridique, propose également l’abrogation des deux articles 15 bis1 et 15 bis2 du Code de procédure pénale, lesquels stipulent que l’officier de Police judiciaire n’est en mesure d’exercer, de manière effective, les attributions liées à sa qualité qu’une fois habilité, sur décision du Procureur général près la Cour de justice dont la compétence territoriale comprend le siège professionnel de l’officier en question, et sur proposition de l’autorité administrative dont il relève.
Le même article confère cette prérogative au Procureur général près la Cour d’Alger, concernant les officiers de Police judiciaire relevant des services militaires de sécurité, a précisé le ministre, estimant que cette décision avait « impacté négativement » le fonctionnement des services de Police judiciaire en réduisant l’efficacité de leurs performances, du fait de la lenteur des procédures d’habilitation, outre la condition de renouvellement des procédures à chaque fois que l’officier concerné est transféré d’une Cour à une autre.
Mises en œuvre depuis plus de deux ans, ces dispositions étaient à l’origine de l’exclusion, des procédures d’habilitation, de nombre d’officiers de Police judiciaire, en vertu des missions qui leur sont assignées en dehors de celles de Police judiciaire, par l’autorité administrative dont ils relèvent, ou pour non accomplissement des missions de Police judiciaire de manière permanente.
Pour M. Zeghmati, cette procédure d’habilitation « a montré ses limites en matière de performances de la Police judiciaire et n’a apporté aucun plus à la qualité de ses prestations, d’où la nécessité de son annulation ».
Le projet de loi prévoit, par ailleurs, l’amendement du contenu des articles 15 et 19 du Code de procédure pénale en vue d’adapter l’appellation d’officiers et agents de Police judiciaire de la Gendarmerie nationale et des services militaires de sécurité à celle consacrée dans les textes juridiques et réglementaires régissant ces deux corps.