Comment anéantir un pays sans tirer une seule balle
Par Ahmed Zakaria
« La meilleure façon d’exercer votre pouvoir est de l’avoir mais de ne jamais l’utiliser. Parce qu’une fois que vous l’aurez utilisé, vous définirez pour vos ennemis ce que leur coûtera le non-respect de vos règles »
Le SWIFT est un système interbancaire international de transfert d’information et de paiement. Plus de 11.000 institutions financières de 200 pays sont connectées à ce système. Après les événements du 11 septembre 2001, les USA ont reçu un accès au système SWIFT au nom du contrôle des opérations financières des organisations terroristes. De cette manière, toute information sur les paiements transitant par le SWIFT est accessible aux USA.
Swift, (Society for worldwide Interbank Financial Telecommunication), est-il devenu une arme de destruction massive ? Du blocus contre le Cuba à celui du Venezuela en passant par l’Irak, la Syrie et la Corée du Nord, les sanctions décrétées par les USA, généralement d’une manière unilatérale, et hors le cadre des institutions internationales, ont déjà fait des milliers de morts parmi les populations. Depuis le conflit syrien qui a vu échouer les plans de l’Oncle Sam et ses alliés, le recours à l’arme des sanctions économiques contre les pays qui ne s’alignent pas sur sa volonté, sont passés à la vitesse électronique. Avec Donald Trump, cela se passe à coup de twittos. Mais comment le système de la messagerie bancaire, sensé fluidifier les transactions financières entre pays, peut-il être un outil de pression d’une destruction redoutable.
Les sanctions contre l’Irak, en 1990, lors de l’invasion du Koweït, se sont avérées des plus complètes et les plus rigoureuses, jamais prises contre un pays. Pas moins de 500.000 enfants ont péri, sans compter les millions de malades chroniques qui n’ont pu accéder aux médicaments. Le dinar irakien, qui était l’un des plus forts au monde, avait connu une chute vertigineuse en passant de 1 Dinar contre 3,26 dollars à 2600 dinars contre un dollar US.
La situation actuelle de ce pays, ravagé par les blocus, l’occupation puis la guerre contre Daesh, est extrêmement grave. Les infrastructures dans les domaines des transports, de l’énergie et des communications ont été dévastées pendant la guerre du Golfe et n’ont pu être reconstruites du fait des sanctions. Le secteur industriel est totalement désorganisé, et la production agricole a considérablement pâti. Mais le phénomène le plus alarmant est la crise qui a frappé le secteur de la santé depuis l’imposition des sanctions.
La messagerie bancaire a toujours été le premier outil incontournable, qu’utilise Washington pour soumettre les pays visés. Cela peut même toucher ces propres alliés. L’UE dont les intérêts commerciaux avec l’Iran ont été profondément touchés, trouvent du mal à exécuter le système de troc avec l’Iran. Voilà plus de neuf mois que Berlin et Paris tentent désespérément de la contourner.
Donald Trump a même menacé à coup de tweets, de recourir à de nouvelles sanctions contre toutes les entreprises européennes qui participeraient au projet de réalisation du gazoduc reliant l’Allemagne et la Russie North stream 2. Ce gazoduc permet de pratiquement doubler la capacité de livraison de gaz russe en Europe. Les menaces de Trump sont intervenues la veille de la rencontre entre Macron et Merkel qui ont réagi manifestement en ordre dispersé. L’Allemagne, contrairement à la France, n’a pas céder aux pressions affirmant que toutes les conditions juridiques sont réunies et que le gaz russe coûte beaucoup moins cher que l’américain.
Plus à l’Est un mur financier et en train de se dresser
Au cours de la crise du rouble de 2014/15, la Russie a annoncé à la suite des sanctions américaines et européennes dues à la réunification de la Crimée, qu’elle commencerait à mettre en place un système de transfert financier électronique interne, une alternative au système SWIFT.
Au début de 2019 Poutine a ordonné le black-out internet sur tout le territoire de la fédération de Russie. La déconnexion planifiée consistait à vérifier que les transmissions des données entre les citoyens russes et leurs organisations restent à l’intérieur du pays. Ce genre de test aurait déjà, montré ses preuves pour des transactions entre banques russes.
Ce système de transfert de messages financiers (SPFS), fonctionne non seulement en Russie, mais selon un rapport de RT, il gère désormais les données de transfert financier de plus de la moitié des institutions russes.
Anatoly Aksakov, président du comité parlementaire russe sur les marchés financiers a affirmé que « Le nombre d’utilisateurs de notre système de transfert de messages financiers internes est désormais supérieur à celui de ceux qui utilisent SWIFT. Nous discutons déjà avec la Chine, l’Iran et la Turquie, ainsi que plusieurs autres pays, de la connexion de notre système avec leurs systèmes », en prévision de toutes sanctions intempestives de Trump.
Depuis l’annonce de la mise en place du Swift Russe (SPFS), certains spécialistes se sont d’ailleurs doutés de la capacité des russes à contourner le système actuellement en usage. Mais la succession des déclarations des responsables russes a mis fin aux supputations, notamment celle qui a révélé que le dragon chinois a également réalisé des grand pas à son tour et que les deux pays travaillent étroitement sur le projet. « Dès que les États-Unis ont utilisé SWIFT comme arme dans leur politique étrangère, quelque chose de ce genre allait forcément arriver» affirme-t-on
La Chine dispose de son propre système interne.
En effet, contrairement aux russes, les chinois développent dans le silence le plus totale leur propre projet. Un responsable chinois trouve que le pouvoir des américains est illusoire et repose sur la faiblesse des autres. « La meilleure façon d’exercer votre pouvoir est de l’avoir mais de ne jamais l’utiliser. Parce qu’une fois que vous l’aurez utilisé, vous définirez pour vos ennemis ce que leur coûtera le non-respect de vos règles »
Visiblement s’il y a une chose que les chinois ont appris à bien faire, c’est de répondre de manière adéquate aux défis connus. Une fois que nous pouvons calculer le coût d’un comportement par rapport à un autre, nous pouvons alors décider lequel est le plus important pour nous.
Dès que le prix à payer pour rester dans SWIFT dépasse les avantages de la construction d’une solution alternative, cette solution sera mise en place.
SWIFT est un pouvoir de marché similaire à celui d’un PDG disposant de milliards d’actions de réserve dans son entreprise. On fait beaucoup de bruit au sujet de la valeur nette de gens comme Jeff Bezos et Mark Zuckerberg.
Il est inutile de coter leur valeur nette en multipliant leurs avoirs connus par le cours actuel de l’action parce qu’ils ne peuvent pas les vendre. C’est un pouvoir de marché ou une richesse perçue qui s’évapore au moment même où ils signalent au marché leur intention de vendre.
En réalité, s’ils essayaient de vendre leurs actions en une fois, leur valeur s’effondrerait, les acheteurs partiraient en courant et ils réaliseraient bien moins que leur valeur nette déclarée avant le début de la vente.
Ainsi, s’ils sont en quelque sorte, prisonniers de leur propre succès, ils doivent gérer la création avec soin pour éviter de nuire à leur réputation, à leur position sur le marché et, finalement, à leur activité.
Quels sont les autres enjeux autour du SWIFT et les systèmes similaires?
Echapper au contrôle, non seulement des échanges financiers, mais aussi celui des échanges commerciaux et sociaux sur internet est devenu le défi majeur des pays qui veulent préserver leur souveraineté. Les russes et les chinois se sont appliqués, ont dépensé des milliards et ont écrit leur propre code. Cela est visible, actuellement dans toute la chaîne d’approvisionnement des communications Internet dans les deux pays. L’infrastructure dont les producteurs de contenu indépendants ont besoin pour résister au contrôle des entreprises est en train d’être mise en place et verra leurs activités se développer à mesure que de plus en plus de gens seront conscients des dangers. Les banques et les entreprises russes récolteront très lentement les fruits de la disparition de l’épée de Damoclès de SWIFT en attendant que d’autres verront les mêmes avantages.
Contrairement au européens, qui n’arrivent pas jusque-là à échapper à l’épée de Damoclès américains, le coût de suivisme des sanctions contre la Russie, a coûté des milliards aux trésors européens.
Selon Eurostat, pour ne citer que le secteur de l’agroalimentaire, la Russie absorbe 10 % des exportations agricoles et agroalimentaires de l’UE. Les produits ciblés par Moscou représentent au total 5 milliards d’euros, alors que les exportations agricoles et alimentaires de l’UE vers la Russie atteignent annuellement quelque 12 milliard d’euros.
Ayant constaté le coût du suivisme européens, certains pays préparent des solutions. Pendant ce temps, Le FPFS de la Russie continue de séduire des clients en Iran, en Turquie, en Chine et dans le reste de ses proches partenaires commerciaux. La dédollarisation du principal commerce de la Russie, en l’occurrence les hydrocarbures est un pas en avant étant donné que nombre de ces pays sont de gros acheteurs de pétrole russe. Signe des temps, même la monarchie wahhabite saoudienne a brandi cette arme cette semaine.
De leur côté, les européens ont essayé de contourner cette menace avec le cas iranien, en concoctant une sorte de système de troc, mais ils n’ont jamais réussi à l’appliquer face à l’énorme pression américaines. Mais cela reste quand même une forme de résistance.
L’Iran sur les pas de l’ours russe
Depuis son exclusion du SWIFT en 2012, la Banque centrale d’Iran prépare le terrain à la création d’autres systèmes financiers alternatifs que le SWIFT pour avoir accès aux banques mondiales.
Selon le professeur d’économie à l’université Kingston de Londres, Steve Keen, « le fait que les États-Unis arrivent à intimider la direction du SWIFT en coupant son accès à la Banque centrale d’Iran, témoigne de l’inefficacité de l’actuel système financier »
Pour échapper aux affres de l’embargo, l’Iran n’est pas allé chercher très loin pour trouver son partenaire qu’est évidemment la Russie. Unis en Syrie, unis sur le web. Rappelons que la Russie avait déjà mis au point un mécanisme de coopération avec l’Iran et évoqué la possibilité de transactions directes avec des entreprises iraniennes.
En effet, en novembre 2018, un accord a été signé entre l’Association russe de la crypto-industrie et le Blockchain-Lab iranien. Cet accord a donné de l’eau à la bouche à d’autres acteurs notamment la Turquie. Au vu de la chute vertigineuse de sa monnaie, à cause du dossier d’achat de missiles russes auquel les américains opposent un non catégorique, Erdoghan n’a pas caché son intérêt à intégrer le système.
SWIFT est un système monopolistique, un monopole né de son côté pratique et de son inertie, grâce à sa neutralité face aux caprices de la politique internationale. Etant donné que nous sommes dans la dernière phase de la pensée impériale aux États-Unis, où notre contrôle sur les affaires mondiales s’estompe d’abord dans les cœurs et les esprits des différents peuples du monde et ensuite dans les politiques, nous en arrivons au début de la fin du système SWIFT en tant que seul outil de transfert financier international.