Par: Ahmed Halfaoui
René Vautier, Une grande figure de l’humanité n’est plus de ce monde. Décédé, un dimanche 4 janvier 2015, à l’âge de 86 ans, nous ne pouvons imaginer, aujourd’hui, ce qu’à 21 ans ce Breton a pu bousculer comme tabous, lorsqu’en 1949, ancien résistant et fraîchement diplômé de l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC), il a réalisé son premier film «Afrique 50». Un documentaire commandé par la Ligue d’enseignement (une confédération d’associations françaises d’éducation populaire et laïque) et destiné à vanter les «bienfaits», en Afrique, de l’action éducative du colonialisme. A l’opposé des objectifs qui lui furent assignés, René Vautier en fera le premier film anticolonialiste français.
L’historien Alain Ruscio en dira que ce fut un «coup de tonnerre dans le paysage cinématographique français».
Et pour cause. En lieu et place d’un panégyrique de l’œuvre colonisatrice, ce seront les crimes de l’armée française et la barbarie, dans toute son horreur, qui seront mis en évidence. Il a filmé ce qu’il voyait et non ce qui devait être vu, conformément à la propagande de l’empire, que certains continuent de servir, même ici, plus d’un demi-siècle après que la bête eut été vaincue.
Il a été vrai, fidèle à son engagement communiste. Les images seront confisquées par la commission de censure et Vautier en paiera de 13 inculpations et d’être condamné à une année de prison. Mais le réalisateur a pu, avant d’être incarcéré, en sauver le tiers, pour la postérité. La censure ne sera levée qu’en 1996.
Il venait d’entamer le combat qu’il ne cessera plus de mener, après qu’il a combattu l’occupation nazi, dès l’âge de 15 ans, et décoré pour cela par le général de Gaulle (cité à l’Ordre de la Nation). Son combat sera de mettre « l’image et le son à disposition de ceux à qui les pouvoirs établis les refusent ». Et il va y veiller d’une façon éclatante, en s’engageant armé de sa caméra, dans la lutte de libération nationale du peuple algérien. Il va y trouver l’occasion d’apporter son art à la cause et de satisfaire sa volonté de lutter contre l’oppression. Il sera le « cinéaste fellouze ».
Pour son action, il tourne d’abord Une Nation l’Algérie en 1954, une mise en image de la sanglante et génocidaire guerre de conquête de l’Algérie. Une phrase, dans le film, « L’Algérie sera de toute façon indépendante », sera considérée comme une « atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat ».
En 1958, il sort Algérie en flammes, tourné à la fin de l’année 1956 et en 1957, dans les maquis des Aurès-Nementchas de l’ALN. Le cinéaste militant enregistrera aussi huit cents heures de témoignages vivants, pour son œuvre la plus connue, Avoir 20 ans dans les Aurès et qui bénéficiera du Prix de la Critique Internationale au festival de Cannes en 1972. Le film rapporte la vie et l’état d’esprit de jeunes appelés dans les Aurès. Il aura gagné d’avoir donné à la révolution algérienne ses images les plus poignantes. Il aura été, de même, égal à lui-même, tout le restant de sa vie. Toujours aux côtés des sans voix, aux côtés, serait-il plus juste de dire, des « sans-images ».