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Hommage à Idir : Cette voix enflammée qui résorbait les ombres

Par Ali El Hadj Tahar

Cet artiste, qui ne se destinait pas à l’art mais à à une carrière dans l’industrie pétrolière algérienne, a fait le choix de partir à l’étranger, ce qui lui a permis d’évoluer sur le plan technique, pas seulement de baigner dans un environnement international, de côtoyer des artistes et des instrumentistes. Elogieuse, la critique française lui attribue le statut de précurseur de la world music.

Le chanteur Idir, qui fut l’un des principaux ambassadeurs de la chanson kabyle, est mort le samedi 2 mai, à l’âge de 70 ans.De son vrai nom Hamid Cheriet, Idir était né le 25 octobre 1949 à Aït Lahcène, près de Tizi-Ouzou. Alors qu’il se destinait à être géologue, un passage en 1973 sur Radio Alger change le cours de sa vie : sa chanson « A Vava Inouva » remporte un immense succès national et fait le tour du monde pendant qu’il fait son service militaire.
A Vava Inouva (« papa Inouva ») est une berceuse, composée par Idir et Mohamed Ben Hamadouche dit Ben Mohamed, pour Nouara qui devait la chanter sur la radio nationale. Nouara, aujourd’hui âgée de 75 ans, était une des premières chanteuses en langue berbère à introduire de la musique moderne dans certains de ses titres. La chanteuse ne pouvant se présenter sur le plateau du directe à cause d’un empêchement de dernière minute donne l’occasion à Idir d’interpréter sa propre chanson à la radio, alors qu’il était un jeune musicien complètement inconnu, accompagné par la chanteuse Mila. Du jour au lendemain, le nom d’Idir était sur toutes les lèvres. La chanson galvanisa les foules d’ici et d’ailleurs, d’autant que l’orchestration était dans l’air du temps avec des guitares acoustiques qui rappelaient les tonalités folk de Bob Dylan, Joan Baez ou Léonard Cohen.

Elle était aussi imprégnée de la musicalité berbère et de ses anciennes mélodies du terroir. Les paroles d’A Vava Inouva évoquent, quant à elles, les montagnes et leurs villages solitaires perchés sur les collines, les veillées autour d’un feu et la maman ou la grand-mère qui berce le bébé dans ses bras. « Ouvre-moi la porte, mon Petit Papa/ Fais tinter tes bracelets ma fille Ghriba/ J’ai peur du monstre de la forêt, mon Petit Papa/ Je le crains moi aussi ma fille Ghriba » Yeli Ghriva, la petite fille d’un conte berbère du même nom et que Ben Mohamed n’a fait que résumer pour en faire des paroles.
« Je suis arrivé au moment où il fallait, avec les chansons qu’il fallait », disait en 2013 cet artiste qui est l’un des premiers à revivifier la chanson kabyle dont les idoles étaient encore Nouara, Cherif Kheddam, Slimane Azem…

« J’ai eu la chance d’avoir une grand-mère et une mère poétesses. On venait de loin pour les écouter. J’ai baigné dans l’atmosphère magique des veillées où l’on racontait des contes et des énigmes. Dans une société de culture orale, la valeur du mot est immense. La capacité à ciseler les mots, à inventer des images, est aujourd’hui encore très prisée chez nous »,disait-il à un journaliste.

Cette ambiance et ce patrimoine culturel qui ont marqué l’enfance d’Idir vont devenir sa thématique essentielle, du moins le fond sur lequel son œuvre s’articule. Ainsi Idir et Nouara sont les premiers artistes à opérer un changement dans la chanson kabyle par rapport aux icones du début du 20e siècle, mais ils ne sont pas moins leurs continuateurs d’autant que la valorisation du patrimoine ancestral sous toutes ses formes constitue pour ces deux artistes une fierté.
En 1975, Idir signe avec un producteur français son premier album, également intitulé A Vava Inouva avant de commencer à donner des spectacles en France et en Europe. Peu prolifique,

Idir a une production discographique plutôt modeste, qui consiste en onze albums studio au total, mais elle s’explique par son travail exigeant et solitaire. Idir a donc non seulement contribué au renouvellement de la chanson berbère, il lui a apporté une audience internationale, à laquelle d’autres artistes vont s’ajouter comme Djamal Allam, Chennoud, Ait Menguellat…

Après ce succès, Idir enregistre Ayarrach Negh (« À nos enfants »), un album qui sort en 1979, tout en programmant une série de concerts. Discret et plein d’humilité, Idir est une star qui ne veut pas briller dans le monde des stars, préférant le monde de la culture et de la poésie à celui, factice, du show-biz, mais en restant proche des artistes. Déçu, il entame un long procès contre son ancien producteur, ce qui va l’éclipser de la scène artistique de 1981 à 1991. Il relance sa carrière avec la sortie d’une compilation de dix-sept chansons de ses deux premiers albums. Idir obtient la possibilité de ré-enregistrer ses titres comme le fameux A Vava Inouva, ce qui lui permet de reprendre confiance et de revenir sur le devant de la scène, en passant au New Morning à Paris du 7 au 9 février 1992.

Elogieuse, la critique française lui attribue le statut de précurseur de la world music.

En 1993, Idir grave Les chasseurs de lumière, puis Identités en 1999 où il chante avec Manu Chao, Dan Ar Braz, Maxime Le Forestier, Gnawa Diffusion, Zebda, Gilles Servat, Geoffrey Oryema et l’Orchestre national de Barbès. Suivent les albums Deux rives, un rêve (Sony Music, 2002), Entre scènes et terre (Sony-BMG, 2005), La France des couleurs11 (Sony-BMG, 2007), Adrar inu (Columbia, 2013) et Ici et ailleurs (Sony Music, France / Izem Pro, Algérie, 2017). Tous ces titres comprennent beaucoup de reprises notamment de ses tubes, Ssendu et A Vava Inouva, Zwit Rwit. Très dansantes aussi sont les chansons d’Idir qui portent en même temps une âme nostalgique et rêveuse, comme une bonne partie du patrimoine lyrique kabyle.
Cet artiste, qui ne se destinait pas à l’art mais à à une carrière dans l’industrie pétrolière algérienne, a fait le choix de partir à l’étranger, ce qui lui a permis d’évoluer sur le plan technique, pas seulement de baigner dans un environnement international, de côtoyer des artistes et des instrumentistes. Idir n’est revenu en Algérie qu’en janvier 2018, après une absence de 38 ans mais il est resté dans le cœur des Algériens comme l’un des artistes les plus attachants. « Baratte, baratte et donne-nous un beurre bien blanc. Baratte, baratte pour qu’on puisse remplir la jarre. Baratte-toi, baratte-toi petit lait et donne-nous un morceau de beurre comme on le souhaite », dit Ssendu, une chanson dont les paroles ont été écrites par Meziane Rachid, M’hamed Yala de son vrai nom. Décédé en octobre 2015, sa famille réclame toujours «justice et les droits d’auteur» après avoir entamé des démarches s par le biais de l’ONDA, d’autant qu’Idir n’a jamais nié que le texte ne lui appartient pas.

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