C‘est dans une atmosphère empreinte de recueillement que l’ambulance transportant le cercueil de la vaillante militante de la cause nationale a fait son entrée au cimentière, autour de 14 h, enveloppé de l’emblème national. Un moment fort en émotions qui fit pousser de vibrants you-yous aux amies et camarades de lutte de la défunte, qui s’est éteinte à l’âge de 93 ans.
Une longévité passée, dans sa majorité, « dans son pays de cœur et d’adoption et qu’elle consacra au service de celui-ci », se sont accordés à souligner à l’APS plusieurs présents à l’enterrement, mettant en avant « l’abnégation et le sacrifice » de la disparue pour l’Algérie.
Cette dernière ayant, « suprême sacrifice, renoncé à sa propre famille, ses deux filles et son époux, ainsi qu’à sa nationalité d’origine (française) pour se consacrer corps et âme à l’idéal de souveraineté du peuple algérien », ont-ils relevé.
« C’est ma sœur », dira, fort émue , la moudjahida Louisette Ighilahriz, qui, en dépit de son âge avancé, a tenu à être présente pour témoigner de « la douleur de l’arrachement à ses filles que les forces de police coloniale ont fait subir à la défunte, en sus des supplices infligés en prison, sans que cela n’entame sa détermination à aller au bout de l’idéal auquel elle a cru ».
Tahar L’hocine, moudjahid de la Zone autonome d’Alger puis de la Wilaya IV, se souvient ainsi de la défunte: « J’ai connu Annie en 1956 lorsqu’elle militait aux côtés de Hassiba Ben Bouali, Daniel Timsit et tant d’autres. Je me souviens encore de son arrestation, le 15 octobre de la même année. Elle a toujours été une brave femme et refusé les feux de la rampe ».
« Annie Steiner a fait partie de ces Français d’origine ayant refusé de cautionner l’oppression du peuple algérien et cru en le droit de ce dernier à son indépendance, allant jusqu’à renier son appartenance à la France coloniale, en dépit du choix qui s’est offert à elle d’obtenir les deux nationalités, française et algérienne. Ce pourquoi, les Européens ayant épousé la cause algérienne ont été torturés plus cruellement que les Algériens, car considérés comme des traîtres », témoigne la moudjahida de la Fédération FLN de France, Salima Bouaziz.
Et de soutenir que dans le quartier où elle habitait jusqu’à sa mort, Ferhat Boussâad (ex-Meissonier), Annie Steiner était « connue de tous, mais vivait très modestement et ne claironnait pas qu’elle avait fait la guerre et a été emprisonnée ».
Ancienne enseignante et formatrice, Fadéla Sahraoui a connu la disparue en 1955, sur les bancs de l’université. Elle tient à relever que « c’est grâce à Annie Steiner qu’elle s’est initiée au militantisme pour la cause féminine et pour l’indépendance du pays. « Elle m’a ouvert les yeux sur la réalité de ma condition de femme et je lui dois mon éducation politique et militante », se rappelle-t-elle, évoquant son enrôlement au sein de l’Union générale des Etudiants musulmans algériens (UGEMA) puis de la Fédération FLN de France.
« L’Algérie vient de perdre une des figures les plus prestigieuses de la Révolution, une vraie combattante et une pure algérienne. Une dame qu’on ne peut oublier car ayant été très engagée et d’une grande détermination, y compris après l’indépendance. Elle était constamment présente dans des rencontres et des événements pour le bien de l’Algérie », dira, pour sa part, l’ancien ministre, Kamel Bouchama.
Et d’émettre le souhait que « les pouvoirs publics lui rendent hommage à la hauteur de son sacrifice, en baptisant de son nom un monument ou autre édifice, afin que celui-ci demeure pérenne ».
De son côté, le représentant des éditions « Rafa », Bouzid Rachid, se souvient avoir connu la défunte lorsqu’elle fréquentait l’ancienne libraire « MiIlle-feuilles » à Alger, et c’est « sous son impulsion » qu’il s’est lancé dans le monde de l’édition, afin, lui disait-elle, « d’écrire l’histoire de la Révolution algérienne « .
Née en 1928 à Hadjout (ex-Marengo), Annie Fiorio-Steiner est issue d’une famille de Pieds-noirs depuis trois générations. En tant qu’Algérienne de souche européenne, elle a pu poursuivre des études à l’université. Diplômée en 1949, elle travaille dans les centres sociaux algériens, créés par Germaine Tillion avec pour mission de soigner et d’alphabétiser la population. C’est là où elle se rend compte de « l’oppression et de l’injustice du colonialisme français envers le peuple algérien », selon ses propos.
Elle fera le choix d’épouser la cause de ce dernier, ce qui lui vaudra de se voir privée par son mari, dont elle divorcera, de ses deux filles. Arrêtée en 1956 pour « activités subversives », elle sera condamnée à six reprises et incarcérée, et subira, en prison, les pires sévices psychologiques et physiques de la part de l’administration coloniale.