Par: Matthias Balk DPA
Des centaines d’universitaires et d’artistes de premier plan du monde entier se sont engagés à ne pas coopérer avec des organismes en Allemagne qui censurent les défenseurs des droits palestiniens.
Ils disent qu’ils n’accepteront plus de participer à des comités pour des prix ou des consultations en vue d’un recrutement s’il y a « des indicateurs convaincants que leurs décisions puissent être sujettes à une interférence idéologique ou politique ou à des critères discriminants de nature politique ». Près de 400 personnes de 30 pays ont signé l’engagement.
Ils incluent les philosophes Étienne Balibar et Judith Butler, le scénariste et producteur James Schamus, le lauréat du prix Nobel de chimie George P. Smith, le linguiste et critique Noam Chomsky, l’écrivaine Ahdaf Soueif, l’ancien Secrétaire-général adjoint des Nations Unies Hans von Sponeck, le professeur spécialiste de l’histoire de l’Holocauste Amos Goldberg et le dessinateur juif américain Eli Valley.
L’architecte renommé Michael Sorkin a aussi signé cet engagement, avant de mourir du COVID-19 en mars.
Des violations de la liberté d’expression
Les universitaires et les artistes citent quatre violations récentes de la liberté de conscience en Allemagne, liées au soutien des droits palestiniens.
En septembre dernier, la ville de Dortmund et le jury du prix Nelly Sachs ont retiré une distinction littéraire à l’écrivaine pakistano-britannique Kamila Shamsie à cause de son soutien à BDS – le mouvement de Boycott, désinvestissement et sanctions pour faire pression sur Israël afin qu’il mette fin aux mauvais traitements des Palestiniens.Quelques semaines plus tard, le maire d’Aachen (Aix-la-Chapelle) a retiré un prix à Walid Raad, accusant l’artiste libano-américain de soutenir BDS, que le maire a qualifié à tort de « mouvement antisémite ».
Comme le note l’engagement, le musée qui administre le prix d’art d’Aachen a maintenu la récompense, mais seulement après avoir soumis Raad à une enquête idéologique « intensive » qui n’a fournir aucune preuve « concluante » d’opinions interdites de la part de l’artiste.
A peu près à la même époque, le centre culturel Gasteig a averti la musicienne israélo-allemande Nirit Sommerfeld que son concert prévu à Munich serait annulé si elle exprimait un soutien quelconque au mouvement BDS.
« Si nous découvrions que le contenu mentionné ci-dessus est évoqué pendant l’événement, nous devrions annuler l’événement », a indiqué une lettre de la salle à Sommerfeld, une descendante de survivants de l’Holocauste.
Et en mars, Stephanie Carp, la curatrice du Festival triennal de la Ruhr 2020 à Bochum, a subi des pressions politiques pour retirer l’invitation faite au philosophe camerounais de renommée internationale Achille Mbembe de donner la conférence inaugurale du festival.
Le festival de cette année a été de toute façon annulé à cause de la pandémie.
Les responsables qui ont exercé ces pressions étaient Lorenz Deutsch, un député du parlement régional de Rhénanie-du-Nord—Westphalie et Felix Klein, la personne clé du gouvernement fédéral allemand sur l’antisémitisme.
Les deux hommes « ont affirmé à tort que le travail universitaire de Mbembe était antisémite parce qu’il inclut une analyse et une critique des politiques du gouvernement israélien », dit la déclaration des universitaires.
ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le philosophe camerounais subit de telle accusations, finement relayée par la machine médiatique soumises aux lobbies pro-israëlien.
Des dizaines d’universitaires juifs ont déjà appelé le gouvernement allemand à retirer Klein de ce poste à cause de son rôle dans la campagne de diffamation contre Mbembe.
Au cours des années précédentes, les Palestiniens ont appelé à un boycott du Festival triennal de la Ruhr à cause de son historique de bannissement d’artistes qui expriment leur soutien pour les droits palestiniens.
« Ces quatre incidents, impliquant quatre villes allemandes et quatre formes différentes d’expression, ont une chose en commun : dans chaque cas, l’artiste ou l’intellectuel en question était considéré comme un défendeur du mouvement non-violent de Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) en faveur des droits palestiniens », disent les universitaires. Ils ajoutent que ces occurrences violent « la liberté académique et les droits de la liberté d’expression ».
L’objectif des attaques de ces responsables allemands est de « réduire le cadre des discussions à l’antisémitisme et à ses impacts pernicieux seulement » et de « détourner l’attention de tout intérêt critique envers le traitement des Palestiniens », affirment-ils.
Une campagne raciste
La répression en Allemagne du soutien pour les droits humains palestiniens a incité en janvier cinq rapporteurs spéciaux des Nations Unies à exprimer leur inquiétude que le pays n’impose « des restrictions injustifiées aux droits de la liberté d’opinion et d’expression, de réunion pacifique et d’association ».
Il est remarquable que beaucoup des artistes et des intellectuels bannis, censurés et diffamés en Allemagne à cause de leur soutien pour les droits palestiniens sont des personnes de couleur, particulièrement d’Afrique ou d’origine africaine.
En plus de Shamsie and Mbembe, ils incluent le militant vétéran anti-apartheid sud-africain Farid Esack, le rappeur Talib Kweli, le journaliste palestino-canadien Khaled Barakat et le groupe britannique Young Fathers. Tant Mbembe que Shamsie ont signé la déclaration.
Et en juin dernier, le directeur du musée juif de Berlin a été contraint de démissionner suite à des pressions d’Israël et son lobby.
Ceci s’est produit après que le musée a tweeter un article sur les 240 universitaires juifs et israéliens qui avaient signé une pétition s’opposant à la motion du parlement allemand diffamant le mouvement BDS.
L’utilisation de fausses accusations d’antisémitisme est si courante que même la survivante d’Auschwitz Esther Bejarano dit qu’elle a été qualifiée d’antisémite pour s’être exprimée contre le traitement inhumain des Palestiniens par Israël.
Bejarano, qui a dû jouer en échange de sa vie dans un orchestre d’un camp de la mort du gouvernement allemand, a parlé à The Electronic Intifada en 2018.
Un outil du lobby pro-Israël
Le dernier recul se produit alors que l’Union européenne, ses états membres et ses institutions dans le continent entier accroissent leurs attaques contre les critiques des politiques israéliennes, sous couvert de combattre l’antisémitisme et les discours de haine.
Comme outil de censure, beaucoup d’organismes officiels ont adopté la prétendue définition de l’antisémitisme de l’IHRA.
Ce document fallacieux et motivé par des considérations politiques, promu par Israël et son lobby, identifie délibérément la critique d’Israël et du sionisme comme idéologie d’état raciste, d’un côté, et le sectarisme anti-juif de l’autre.
La déclaration des universitaires peut être perçue comme une preuve que ces tentatives de censure se retournent contre elles-mêmes, de plus en plus de gens refusant de permettre que le combat nécessaire contre le sectarisme anti-juif — renaissant particulièrement à l’extrême-droite européenne et américaine — soit détourné pour défendre le régime d’apartheid oppressif d’Israël.
Remarquablement, environ 40 des signataires viennent d’Allemagne, et incluent des dirigeants d’institutions culturelles. « J’espère que le fait que tant d’entre nous — venant d’une telle diversité de convictions politiques — ressentent le besoin de publier cette déclaration alertera nos collègues en Allemagne sur la gravité de ces interventions politiques et idéologiques persistantes dans leur champ et les poussera à leur résister avec nous », a dit la romancière Ahdaf Soueif.
Ali Abunimah, cofondateur de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books. Il a aussi écrit : One Country: A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse. Les opinions exprimées sont les siennes seules.
Traduction : CG pour l’Agence Média Palestine
Source : The Electronic Intifada