Maghrebfacts
Pour obtenir l’autorisation des autorités coloniales, les militants algériens ont présenté le défilé en question comme une « procession pacifique » destinée à commémorer le martyre des soldats tombés durant la seconde guerre mondiale, parmi lesquels des milliers d’Algériens conscrits de force pour servir de chair à canon.
La marche devait s’ébranler de l’ancienne mosquée de la gare (aujourd’hui Abu Dhar El Ghafari), avant d’emprunter l’avenue Georges-Clémenceau (devenue avenue du 8-Mai 1945) pour ensuite bifurquer, à hauteur de l’ex-café de France, vers le Monument-aux-Morts pour y déposer une gerbe de fleurs.
En réalité, les nationalistes algériens, sur l’instigation de Ferhat Abbas et des militants des AML, avaient parcouru, la veille, tous les recoins de Sétif et les douars environnants pour appeler à une forte mobilisation et expliquer le véritable objectif de la marche: appeler à l’indépendance de l’Algérie.
Le mardi 8 mai 1945 est jour de marché. « Il faisait beau et assez chaud », se souvient Mahmoud Bendridi, venu spécialement, ce jour-là, de Amoucha, une petite agglomération située à 25 km au nord de Sétif. La foule commençait à se faire dense dès six heures. Une heure plus tard, ils étaient entre 9 à 10.000 personnes autour de la mosquée et jusque dans les quartiers voisins.
Quelque 250 scouts musulmans algériens (SMA) en tenue sont placés en tête du cortège, alignés en rangées de huit, foulard vert et blanc autour du cou. Ils entonnent des chants nationalistes et avancent lentement à pas cadencés. « Min Djibalina » (De nos montagnes) jaillit de centaines, puis de milliers de poitrines dès l’entame du défilé à 08H30Mn.
L’emblème algérien, pour la première fois
Le jeune Saâl Bouzid, désigné parmi ses camarades, porte l’emblème algérien, symbole de l’indépendance. Dans la foule, « très disciplinée », se remémore M. Bendridi, des drapeaux algériens, confectionnés à la hâte, sont brandis pour la première fois aux côtés des drapeaux tricolores français. Cela ne manque pas de susciter l’indignation des colons français, installés sur les terrasses des cafés, et le courroux des policiers qui gardent, cependant, leur calme, au début.
La procession grossit à vue d’œil. Un autre groupe de quelques centaines de manifestants arrive du sud de la ville, depuis la porte de Biskra, par le boulevard du général Leclerc. Les deux groupes se rejoignent au début de l’avenue Georges-Clémenceau devant le mess des officiers.
Aux « Vive la Victoire alliée » scandés par la foule, succèdent les « Vive l’Algérie indépendante », « Libérez Messali Hadj », « L’Algérie est à nous ». Devant le café de France, juste en face de la stèle commémorant ces événements, le commissaire Lucien Olivieri, ne supportant pas la vue de l’emblème national, ordonne de retirer pancartes, banderoles et drapeaux. Bouzid Saâl, refuse de baisser le drapeau algérien, le policier tire et le jeune homme s’écroule, mort sur le coup. La foule est saisie de panique, les colons, jusque-là attablés en spectateurs, fuient dans tous les sens. C’est le début des émeutes.
L’après-midi, l’insurrection gagne la campagne puis s’étend à d’autres villes, à Guelma et Kherrata, notamment. Le gouvernement provisoire du général de Gaulle répond par une répression impitoyable menée par le général Duval.
Sur une distance de 150 km de Sétif à la mer, la loi martiale est décrétée, toute circulation est interdite avec mise en place d’un couvre-feu. Les chefs nationalistes sont arrêtés, des scouts et des civils sommairement exécutés sur simple suspicion. Des mechtas soupçonnées d’abriter des indépendantistes sont pilonnées par l’aviation coloniale française et incendiées. Des femmes, enfants et vieillards sont tués sans aucune once de pitié. Cette répression sanglante fera 45.000 morts.
L’administration coloniale et le gouvernement français, pris de court, ne se doutent pas que cette révolte d’Algériens spoliés et que ces massacres de populations innocentes, sont un signe précurseur de Novembre.
Mai refleurira neuf ans plus tard dans les Aurès, plus précisément à Dechrat Ouled Moussa, lieu où furent distribuées, le 31 octobre 1954 au soir, les premières armes de la Révolution. L’étincelle de cette dernière s’étendra dans tout le pays pour sonner le glas, au bout de sept années et demi de luttes et de sacrifices, d’une injustice qui aura duré 132 ans.