Par | Ahmed Zakaria
Sous le diktat menaçant des algorithmes, une guerre silencieuse et insidieuse se dessine, où l’intelligence artificielle se mue en une arme redoutable, théâtre de conflits entre superpuissances. Alors que nations et géants technologiques s’affrontent pour s’approprier cet eldorado numérique, l’avenir de l’humanité se trouve suspendu entre l’éblouissement de l’innovation et les dangers latents qu’elle dissimule.
Dans cette lutte acharnée, où les États peinent à maintenir leur rôle régulateur face à l’hégémonie des titans de la tech, qui sortira vainqueur : l’éthique, gardienne de notre humanité, ou la puissance, souveraine et implacable ? De cette confrontation surgiront-ils des murs numériques, à l’image du mur de Berlin, séparant le Nord du Sud, l’Est de l’Ouest ? Ou la conscience numérique parviendra-t-elle à effacer ces divisions, consolidant la domination de ses concepteurs.
Déchiffrer le rôle de l’IA en tant que levier de puissance et de richesse nationale est un défi complexe, obscurci par le secret et la sophistication, mais aussi par une médiatisation excessivement servile. Tous les analystes s’accordent à dire qu’après la guerre en Ukraine, imprimer des dollars ne suffit plus à forger des missiles pour imposer sa domination. L’enjeu a évolué. Les innovations majeures sont désormais réalisées, et nous entrons inexorablement, dans une autre ère de d’évolution technologique.
La commercialisation de l’IA a explosé avec le lancement fracassant de ChatGPT par OpenAI. Ce projet, véritable phare médiatique, est soutenu par des investissements colossaux et l’émergence de startups audacieuses, tout en soulevant des enjeux politiques et réglementaires cruciaux. La rapidité des innovations, exacerbée par une concurrence féroce, ajoute du plomb aux ailes d’une machine législative des états souvent dépassés.
Une Guerre Froide de l’IA
Entre ces deux pôles, un troisième niveau d’interprétation de l’IA émerge, englobant les politiques internationales des États et des géants de de la Tech. Ce phénomène, qualifié par le magazine Wired en 2018 de « guerre froide de l’IA« , a été évoqué par Henry Paulson, ancien secrétaire américain au Trésor, sous le terme de « rideau de fer économique ». Ce volet, souvent méconnu du grand public, est le théâtre de conflits et de distorsions entre États et géants technologiques, comme le soulignent les recherches de Joanna J. Bryson et Helena Malikova pour Global Perspectives.
Alors que les pays du Sud se contentent d’être des consommateurs émerveillés, le projet géopolitique lié à l’IA est souvent mal compris par l’opinion publique occidentale, submergée par un battage médiatique qui amplifie l’émerveillement suscité par les innovations. Cette fascination a engendré une ruée vers la création de produits commerciaux basés sur l’IA, où les investissements des entreprises dopent le secteur de l’information, privilégiant les récits sensationnels et érigeant les fake news en un style à part entière dans le paysage médiatique. véritable dispositif de guerre cognitive basé sur les médias les réseaux sociaux et la technologie de pointe.
En cette période de crise mondiale aiguë, où la carte géopolitique subit des bouleversements profonds, éloignés des règles consensuelles établies après la Seconde Guerre mondiale, l’intelligence artificielle émerge comme l’arme privilégiée de la domination. La prolifération des fake news, le piratage des données, la polarisation des opinions et la militarisation des discours ont engendré une sorte rupture anthropologique.
Cette dynamique a rapidement transformé une fascination initiale pour la technologie en un profond effroi face à la possibilité que le « machine-Learning« , de plus en plus sophistiqué et omniprésent, puisse entraîner la conscience sociétale à se soumettre à la machine, renonçant ainsi aux projets d’identités collectives et à la richesse des interactions humaines. Dans ce contexte troublant, la question du rapport de l’individu les sociétés aux entités technologiques se pose avec une acuité alarmante.
La Rivalité Technologique Américano-Chinoise : le Duel du 12e siècle
Les gouvernements et les géants technologiques s’engagent dans une course effrénée pour dominer l’intelligence artificielle. Considérée comme un outil stratégique à la croisée des chemins entre puissance économique et militaire, l’IA est désormais au cœur des ambitions des grandes puissances.
Selon IDC Technologies , le marché de l’IA est sur le point d’exploser, avec une croissance fulgurante de 19 % par an, atteignant la barre vertigineuse d’un trillion de dollars dans les trois prochaines années. Accenture, conseil, prédit pour sa part, une hausse de 40 % de la productivité du travail, générant des bénéfices en cascade tout au long des chaînes de production. Mais cette dynamique entraîne également un affrontement géopolitique intense pour le contrôle de l’IA, un enjeu économique majeur qui creusera l’écart entre les grandes puissances et le reste du monde.
Les projections révèlent une répartition inégale de la richesse générée par l’IA, avec les États-Unis et la Chine s’accaparant près des deux tiers des 15 000 milliards de dollars attendus d’ici 2030. Le reste du monde devra se contenter d’un tiers restant, exacerbant ainsi le fossé entre économies développées et pays en développement.
Pour développer l’IA, trois éléments clés se dessinent : des algorithmes novateurs, une masse de données colossale et une puissance de calcul sans précédent, nécessitant des puces modernes dont la production est concentrée à Taïwan.
Eric Schmidt, ancien PDG de Google clame avec force que « la microélectronique est la clé de toute intelligence artificielle », et il est indéniable que les États-Unis ont perdu leur avance dans la fabrication des puces les plus sophistiquées. Cette réalité jette les bases d’une « guerre froide de l’IA » entre les États-Unis et la Chine, inscrite dans un conflit plus vaste autour de l’accès aux technologies numériques.
A ce titre Schmidt, tire la sonnette d’alarme : la Chine possède désormais une « capacité d’IA supérieure » à celle des États-Unis dans des domaines cruciaux, un constat qui souligne l’urgence d’une réponse stratégique.
Depuis la présidence de Barak Obama, les États-Unis n’ont cessé de durcir les restrictions sur l’exportation de certaines technologies. Justifiée par des préoccupations de sécurité nationale, cette interdiction vise à prévenir l’espionnage et à isoler la recherche et le développement technologique des entreprises chinoises.
Ces mesures se sont intensifiées sous la présidence de Donald Trump et, avec la montée des tensions autour de Taïwan, l’Administration Biden a franchi un cap décisif en forçant à coup de réglementation incitative, les entreprises et start-up taïwanaises et européennes de renommée, à s’installer sur le sol américain.
Dans cette arène, des géants tels que Google, Amazon et Facebook investissent massivement dans le développement de puces personnalisées, cherchant à optimiser leurs services d’IA et à s’imposer sur le marché stratégique européen. Cela explique en partie la bataille juridique en cours entre ce qui reste de souverainistes au sein de l’Union et les GAFAM.
En Europe, la stratégie en faveur de l’IA oscille entre financements pour la recherche et réglementation stricte sur le traitement des données personnelles. Pourtant, malgré des investissements significatifs, l’Europe reste à la traîne par rapport aux États-Unis et à la Chine.
Les pays asiatiques, comme la Corée du Sud, s’engagent également dans cette course effrénée, investissant massivement dans l’IA. Naver collabore avec Samsung pour concevoir un modèle d’IA de pointe, tandis que le Japon voit dans l’IA un levier essentiel pour booster sa productivité. Cependant, c’est la Chine qui se positionne comme le leader incontesté, visant à dominer le secteur d’ici 2030.