Par Azzeddine Bensouiah
Sept vendredis de marches pacifiques qui ont émerveillé le monde et poussé le président Bouteflika à sortir par la petite porte de l’histoire. C’est, à la fois, long et court, eu égard au contexte algérien et surtout aux aspirations du peuple algérien.
Le temps, contrairement à ce que pensent certains, joue en faveur du mouvement de contestation, dans la mesure où chaque vendredi les revendications s’affinent et se précisent, alors que les tergiversations des tenants du pouvoir ne font que renforcer la détermination du peuple à aller de l’avant et à faire montre de vigilance et de persévérance.
Alors que le principal verrou a sauté, le système vacille, mais ne s’avoue toujours pas vaincu. Il faudrait être naïf pour croire que cela s’effacerait d’un revers de la main. Il faudrait beaucoup de temps, beaucoup plus que les plus pessimistes le croient. L’étendue de ses dégâts est tellement grande qu’il faudrait une décennie au moins, pour voir s’installer une alternative sérieuse. Ce ne sont pas seulement des ministres et des hommes d’affaires connus, qui composent le système, ce sont toutes ces administrations centrales et surtout locales, et leurs clientèles respectives. Et c’est, surtout, un état d’esprit, une certaine culture à bannir à jamais.
Mais, s’il est urgent d’attendre, concernant certaines questions cruciales, comme celle du changement radical du système, ou encore le jugement de tous les corrupteurs et de tous les corrompus, il est des questions qui doivent être tranchées au plus vite, à commencer par la lancinante question de l’après-Bouteflika. La rue a clairement exprimé son refus de se conformer aux dispositions de l’article 102 de la constitution qui lui imposerait une période de transition dirigée par le gouvernement Bedoui et l’actuel président du Sénat, estimant, à juste titre que cette formule ne garantit en rien l’organisation d’une élection présidentielle dans les prochains 90 jours, avec les méthodes de fraude que l’on connaît.
L’allusion faite par le chef d’état-major de l’armée aux articles 7 et 8 de la constitution qui consacrent la volonté populaire comme unique source de pouvoir, vise, en fait, à offrir aux tenants du pouvoir une alternative face au refus attendu du peuple.
Mais, dans les faits, comment devraient se dérouler les choses? Officiellement, les deux chambres du Parlement devraient se réunir en congrès, ce dimanche au palais des nations, au club des pins, pour valider la vacance du poste de président de la république et désigner de facto le président du sénat à la tête de l’État pour une période de trois mois. Mais ce scénario pourrait connaître quelques aménagements, comme l’annonce, à la dernière minute, de Abdelkader Bensalah et l’élection d’un sénateur, plus ou moins consensuel, pour assurer l’intérim de la présidence de la république. Tel qu’il se présente, le congrès du parlement est rejeté d’avance par le peuple qui, en dehors de la question de la vacance du poste de président de la république, ne veut pas entendre parler d’une période de transition ni d’une présidence intérimaire, qui serait confiée aux hommes du système. Les slogans du septième vendredi étaient, à ce point, très clairs: ni ce gouvernement, ni le président du sénat n’ont la confiance du peuple.
Et là, tous les regards se tournent vers le commandement de l’armée qui a , jusque là joué le rôle de garant de la volonté populaire. Assistera-t-on à la mise en pratique des articles 7 et 8 de la constitution, qui, faut-il le rappeler, sont trop vagues et prêtent à multiples interprétations? Tout porte à le croire, cependant, reste la question que tout le monde se pose: qui dirigera la période de transition? Si on admet que les départs réclamés du gouvernement Bedoui et du président du Sénat, sont sur toutes les langues, la désignation d’une personnalité ou d’un comité de personnalités- une sorte de présidence collégiale- nécessite un minimum de dialogue et de consultations. L’armée a-t-elle vocation à le faire? Le scénario égyptien, que d’aucuns agitent n’a aucune chance de réussir en Algérie, pour la simple raison que le peuple ne veut pas d’un militaire à la tête de l’État et que l’incursion de l’armée dans les affaires politiques ces dernières semaines répond beaucoup plus à préserver le pays contre toute dérive et à garantir la sécurité de la population qui sort en masse manifester pacifiquement pour le changement.
Il est clair que d’ici dimanche soir, les choses devraient se préciser davantage concernant la réponse à donner aux revendications citoyennes quant à la nécessité d’aller vers une période de transition sans les figures du système.
Si la rue parvient à arracher cet acquis, un long chemin est à prévoir, à commencer par le débat à ouvrir sur la nécessité d’aller, d’abord, vers une constituante, en lieu et place d’une élection présidentielle organisée à la hâte et qui ne garantirait aucun changement notable dans le nature du système tant décrié.
En cette période d’effervescence politique, il n’est pas aisé de garder la tête froide, tant les ambitions des uns et des autres s’affichent publiquement et des listes circulent sur les réseaux sociaux pour imposer certains figures médiatiques ou celles qui ont brillé par leur combat durant ces dernières années. Mais, il est très prématuré de tomber dans ce piège de représentation, sachant qu’au final, le peuple est sorti pour en finir avec le système de cooptation , de quotas et de désignations en catimini.
Les ambitions, toutes les ambitions, sont légitimes, pour peu qu’elles respectent l’intelligence du peuple algérien, qu’elles patientent encore un peu, le temps de s’entendre sur l’échéancier électoral à venir, et là chacun est libre de présenter sa candidature, de défendre son programme et au peuple de choisir librement, dans la transparence, ses représentants.