Par | Ahmed Gasmia
1984 de George Orwell. Un grand classique qui m’a un peu déçu, je dois dire. Pour faire court, 1984 est le récit d’un homme qui veut faire quelque chose contre le gouvernement totalitaire de son pays, mais qui ne fait rien, au final. Il est arrêté, torturé et il redevient un citoyen obéissant. Et c’est tout.
1984, une vraie dystonie, plante un décor captivant, le monde de ce « futur » sombre est bien décrit, mais, au-delà de la façade séduisante, l’histoire n’est pas intéressante. L’auteur aurait tout aussi bien pu raconter la même histoire dans le contexte de l’Union soviétique ou sous le régime nazi en Allemagne. Elle aurait été juste une histoire triste où le héros ne fait rien à part penser à se révolter et espérer. La plus grande prouesse du héros d’Orwell est d’être sorti avec une femme, membre du parti au pouvoir qui, finalement, partageait ses mêmes ressentiments envers le régime en place. Elle non plus, ne fait rien et se contente d’espérer. L’époque et le monde futuriste choisis par Orwell ont manifestement, fait la différence. En fait, il faut juste gratter la surface pour constater que 1984 est le roman de quelqu’un qui se trahi en révélant ce qu’il pense et qui en paie le prix en subissant des tortures atroces. Justement, dans 1984, les scènes de torture sont exagérément prolongées. Un vrai supplice pour le lecteur.
Mais alors qu’est-ce qui a fait de 1984 un grand roman ?
Il faudrait mettre les choses dans leur contexte pour bien comprendre ce qui a fait de 1984 un grand roman. Le livre est sorti en 1949, en pleine guerre froide. L’Union soviétique était dirigée par Staline qui ressemble étrangement à Big Brother du roman, appelé « Tonton » dans la version française de 2021.
Big Brother est un homme à la moustache sombre et dont les affiches sont partout sur les murs de Londres, la ville la plus importante d’Océania, un bloc de pays qui se trouvent sur trois continents. L’image de Staline s’impose d’elle-même.
Dans ce roman, l’ennemi juré de « Tonton » qu’on ne voit jamais en vrai et Emanuel Goldstein, un juif co-fondateur du parti au pouvoir et qui représente désormais la résistance contre Big Brother. Lui non plus, on ne le voit jamais. Ce Goldstein rappelle Léon Trotski, un juif, lui aussi… C’est également un ancien membre du parti devenu un adversaire du leader du pays.
Le roman d’Orwell devait être lu différemment à son époque. Il se lisait peut-être comme un avertissement contre la dictature que pouvait créer les communistes s’ils arrivaient un jour au pouvoir dans un pays occidental. Le parti au pouvoir, dans 1984 combat ouvertement le capitalisme.
47 ans plus tard, l’article du The Guardian qui change tout…
C’est presque un paradoxe, mais 1984 paraît être un livre de propagande contre le bloc soviétique, probablement encouragé par les autorités britanniques. Il sort une année avant le début du maccarthysme aux Etats-Unis, une véritable chasse aux communistes ou aux sympathisants avec le communisme qui durera jusqu’à 1954.
Le 11 juillet 1996, un article du quotidien anglais The Guardian affirme qu’en 1949, date de la sortie de son roman, George Orwell communique une liste de noms de journalistes et d’intellectuels ayant des liens supposés avec le bloc communiste à l’Information Research Department, un organisme lié aux services de renseignements britanniques. (https://fr.m.wikipedia.org/wiki/George_Orwell). C’est presque surréaliste, c’est même Orwellien…
Cette affaire est attestée par un document officiel déclassifié. https://orwell.ru/a_life/list/english/e_list
Par peur de voir les communistes arriver au pouvoir au Royaume-Uni, Orwell aurait agi exactement comme un membre du parti qu’il décrit dans son roman.
Il est évident que pour son époque, 1984 est un roman qui sort de l’ordinaire.
C’est un roman qui a du pouvoir et il puise sa force dans la peur d’un avenir sombre. Dans une certaine mesure, il est toujours « lisible » aujourd’hui, au vu de la situation géopolitique actuelle. Mais il semble surtout avoir été une arme employée pendant la guerre froide. Ce n’est peut-être pas une coïncidence si « la guerre froide » est une expression inventée par George Orwell, lui-même…